Le souffle de l'info en un clic

Note de lecture : « Le Testament de Charles »  

Note de lecture : « Le Testament de Charles »  . Article écrit par Éric Topona. Publié le 15 octobre 2025à 07h00

⏱ Temps de lecture estimé : 10 minutes

Inspiré du parcours du capitaine Charles N'Tchoréré, Le Testament de Charles, publié par la maison d'édition Les Lettres mouchetées, retrace l'épopée d’un soldat noir qui s'engage au service de la France au cours des deux guerres mondiales. Éric Topona vous en propose une note de lecture.. Les univers des sciences humaines, de la philosophie ou du droit, de la création artistique et littéraire sont loin d’avoir épuisé les prolongements de la rencontre entre l’Afrique et l’Occident. Il faut d’ailleurs espérer qu’émergent des œuvres de l’esprit qui enrichissent grâce à des interrogations nouvelles, des fulgurances inédites, ces moments d’histoire qui sont constitutifs d’un monde de concorde, de paix durable, de convergences entre cultures et peuples qui tardent à naître ou dont les jalons et les acquis naissants sont sans cesse bousculés. Le Testament de Charles, du journaliste franco-camerounais Christian Éboulé, paraît à un moment préoccupant de notre histoire commune où nous croyions avoir définitivement rompu avec le rejet obscurantiste de l’altérité, la hiérarchisation des cultures, la remise en question de cette indispensable « Civilisation de l’Universel », si chère au poète-président Léopold Sédar Senghor. Que l’auteur convoque, à l’entame de son ouvrage, des vers aux accents funèbres de Senghor, ancien prisonnier dans un stalag durant la Seconde Guerre ​mondiale, mais plus tard pèlerin inlassable d’un humanisme universaliste pour l’avènement d’un monde riche de ses différences, rassemblé dans un rendez-vous fraternel du « donner et du recevoir », voilà qui d’entrée de jeu donne tout son sens à l’idéalisme de son héros, Charles N’​Tchoréré.  La trajectoire du héros Charles N’Tchoréré La trajectoire de Charles, on pourrait la résumer dans la célèbre formule du ​philosophe grec Diogène de Sinope – également appelé Diogène le Cynique ou Diogène le Chien –​, déambulant inlassablement en plein jour, une lampe à la main, et clamant sans cesse : « Je cherche l’homme ». Le jeune Charles fait l’expérience du métissage culturel. Dès ses très jeunes années, il s’abreuve à l’école occidentale dont il reçoit les premiers rudiments à travers une éducation chrétienne catholique. Il en apprécie l’universalisme fondamental, l’ouverture à l’autre, les valeurs de solidarité et de partage, de compassion pour la veuve et l’orphelin. Mais voilà que, lorsque dans son Gabon natal, comme tous les jeunes de son âge, il se fait initier à la sagesse et à la connaissance de ses ancêtres, il suscite l’ire de l’un de ses formateurs qui ne décolère pas : « Alors, mon petit Charles, est-il vrai que tu as été initié au Bwiti ? » (p. 29)​ Le jeune Charles fait ainsi l’expérience dramatique de l’exigence de dépossession culturelle que charrie ce propos indigne du religieux. Il croyait plutôt avoir accompli un pas de plus vers sa vocation d’homme. Ni reniement ni renonciation. Il y voit plutôt un enrichissement en souvenir des sages conseils du vieil Okili :​ « Il s’agit de richesses inépuisables qui s’accroissent d’autant plus qu’on les partage, de richesses qui élèvent, grandissent et permettent de voir clair. Il s’agit de la Connaissance. » (chap. 2, p. 26) ​Désillusion Le jeune Charles n’est cependant qu’au matin de ses désillusions. Il découvre, à son grand dam, que certains parmi ses formateurs ont une conception hégémonique de la fameuse « mission civilisatrice ». Pour ceux-là, il s’agit de parvenir à une européanisation des jeunes Africains, alors que, pour d’autres parmi ses maîtres, l’objectif ultime est l’accomplissement plénier de leurs apprenants : « Le père Jean versus le frère Germain, deux conceptions de la mission civilisatrice : “ Nous n’avons assurément pas la même conception de l’œuvre à accomplir ici. Pour vous, nos écoliers devraient être des négrillons oisifs n’ayant nul besoin d’éducation. Justement, c’est pour leur en offrir une que nous autres, frères de Saint-Gabriel, sommes là ; nous aimerions donc que vous arrêtiez d’entraver notre action”. » (p. 33) Les questionnements de plus en plus lancinants, le drame existentiel qui s’empare du jeune Charles, ne sont pas sans rappeler ceux qui ballottent la conscience juvénile de Samba Diallo, le héros de L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane ; traversé qu’il fut par le dilemme du choix entre sa culture islamique native du pays des Diallobé et la nécessité de l’enrichir des fondamentaux de la culture occidentale. Il sera en outre enjoint au jeune pensionnaire des spiritains de se distinguer de ses congénères au prétexte péjoratif qu’ils sont des « broussards » : « Ainsi s’exprimait parfois le père Jean lorsqu’il nous encourageait à parler français plutôt que nos langues maternelles. Et il surenchérissait, la langue gourmande, voire grondante : “Il est impératif pour tous ceux qui aspirent à devenir des hommes instruits et distingués de se montrer, en toutes circonstances, différents des broussards. Im-pé-ra-tif !” » (p. 41)​ Charles aura connu ce hiatus, si caractéristique du discours sur la « mission civilisatrice », entre les propos formellement rassembleurs sur notre humanité commune et les réalités tragiques d’un monde où la quête effrénée du profit, la conquête des positions de pouvoir et de prestige n’ont de cesse de gagner les âmes et les relations entre les peuples. Il voit s’effondrer un monde soumis aux puissances infernales de l’argent. Il vivra, la mort dans l’âme, l’institutionnalisation coloniale du travail forcé, la réduction en esclavage de vaillantes populations contraintes de produire des richesses qui ne profitent qu’à leurs maîtres, la destruction d’écosystèmes et d’équilibres sociaux millénaires : « Des dizaines de milliers d’hectares avaient ainsi été arrachés aux​ populations autochtones, souvent contraintes d’abandonner leurs terroirs pour s’atteler au développement des cultures d’exportation telles que le palmier à huile, le café, le cacao, l’hévéa ou encore la banane. Depuis, l’essor de ces exploitations s’accompagnait d’une pénurie de main-d’œuvre aggravée par les rudes conditions de travail et la mortalité due à des pathologies endémiques comme la malaria, la dysenterie et la maladie du sommeil ». (p. 67)​ Charles N’Tchoréré, édifié à la vie La Première Guerre mondiale, puis la Seconde achèveront d’édifier Charles sur la réalité d’un monde qui l’aura défait de ses « illusions ». Il aura fait l’expérience tragique de « la vie en face ». Mobilisé durant la Seconde Guerre mondiale, face au peloton d’exécution nazi, il fera l’expérience d’une hiérarchisation féroce des peuples. Au demeurant, Charles, de toutes les forces de son âme, s’emploiera à transcender les affres de la déshumanisation de la guerre. Au lieu de s’ériger en chantre de la haine entre les peuples, il s’affirmera comme ce héraut inlassable de l’acceptation des différences et de la paix. Fidèle en cela à une résolution qu’il prit très tôt en dépit des mises en garde du sage Okili : « Le poisson pourrit peut-être et avant tout par la tête, poursuivait-il ; et la tienne a laissé s’infiltrer un amour excessif pour un pouvoir qui n’a pas donné les preuves qu’il est des nôtres. Je te parle là de la France, ta patrie d’adoption, à laquelle tu as abandonné corps et âme. Une nation qui continue de nous assujettir, de nous piétiner, de nous massacrer, de nous piller, de nous exploiter à son seul profit est une marraine de complaisance. Elle avance des bras rutilants d’or pour mieux nous séduire et nous réduire. » (p. 91) « Et, en dépit des exhortations ouvertement ségrégationnistes du frère Germain : « Gardez-vous donc de tout égalitarisme enfantin. Noirs et Blancs ne seront jamais égaux ». Aussi pris-je la résolution que, ma vie durant, je prouverais que Blancs et Noirs étaient semblables. » (p. 71)​ Témoignage d’humanisme et de fraternité Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lors de laquelle Charles fut témoin d’innommables crimes qui conduiraient bien d’autres à désespérer des hommes et de tout rapprochement possible entre les peuples, le jeune homme aura fait du reste de ses jours un témoignage vivant d’humanisme et de fraternité en actes. Il n’est pas superflu de relever que, même au cœur des pires horreurs de la guerre, alors même que sa propre vie était en péril, il demandera à un officier allemand une sépulture pour le capitaine Rawa Ouédraogo qui venait d’être froidement abattu par son collègue de la Wehrmacht qui n’avait pas supporté l’affront à son endroit du tirailleur sénégalais. L’oreille curieusement attentive que porta l’officier allemand à sa demande, quoique sans suite, est l’un de ces moments d’exceptionnelle humanité qui atteste qu’il ne faut pas désespérer des hommes. Dans la trajectoire de Charles, un autre moment décisif sera sa rencontre avec Claire Broussard : « Cette élégante brune, svelte, pétillante, lumineuse, présidait la fondation de L’Entraide du soldat indigène en France. Jouant les entremetteurs, Kojo ne se contenta pas de louer mes qualités auprès de Claire ou de mettre en avant mon statut de blessé de guerre, il lui raconta toute mon histoire. Un préalable qui la mit en confiance. Quant à moi, j’étais hypnotisé par ses grands yeux noirs. » (p. 150)​ Cette rencontre ne sera pas seulement le début d’une histoire d’amour entre Charles et Claire. Ce sera l’antithèse des nombreux poncifs et autres préjugés qu’aura douloureusement enjambés Charles, oscillant entre des moments de profonde déréliction et des lueurs d’espoir pour un monde meilleur. L’un et l’autre, à l’échelle modeste qui est la leur, posent les indispensables jalons d’un cheminement et d’un monde différent, à contre-courant des pages sombres d’un autre monde dont les drames s’étalent sous leurs yeux. Charles, en couple avec Claire, continua de servir dans l’armée française au sein de laquelle il fit par ailleurs une belle carrière d’officier : « L’excellence était ma motivation. Le colonel Jules Antoine Bührer, patron du 23e régiment d’infanterie coloniale auquel j’appartenais désormais, était un homme de parole et de caractère. Jamais je n’avais senti chez lui cette sourde condescendance que beaucoup d’officiers supérieurs blancs affichaient à l’égard des soldats indigènes. Il appréciait mon travail et ne ratait pas une occasion​ de me prodiguer des conseils, en particulier dans la gestion de mes relations avec la hiérarchie militaire […]. J’avais reçu un courrier du cabinet du ministre m’informant de ma nomination au grade de chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur, par un décret signé du président Gaston Doumergue. » (p. 170)​ Le Testament de Charles aurait tout aussi bien pu s’intituler L’Héritage de Charles, qu’il semble résumer en une phrase : « Comme disait le vieil Okili, sans que je veuille l’entendre, en ce monde, ce sont d’abord les hommes qui doivent changer. » (p. 211)  .

⏱ Temps de lecture estimé : 10 minutes

Inspiré du parcours du capitaine Charles N’Tchoréré, Le Testament de Charles, publié par la maison d’édition Les Lettres mouchetées, retrace l’épopée d’un soldat noir qui s’engage au service de la France au cours des deux guerres mondiales. Éric Topona vous en propose une note de lecture.

Les univers des sciences humaines, de la philosophie ou du droit, de la création artistique et littéraire sont loin d’avoir épuisé les prolongements de la rencontre entre l’Afrique et l’Occident. Il faut d’ailleurs espérer qu’émergent des œuvres de l’esprit qui enrichissent grâce à des interrogations nouvelles, des fulgurances inédites, ces moments d’histoire qui sont constitutifs d’un monde de concorde, de paix durable, de convergences entre cultures et peuples qui tardent à naître ou dont les jalons et les acquis naissants sont sans cesse bousculés.

Le Testament de Charles, du journaliste franco-camerounais Christian Éboulé, paraît à un moment préoccupant de notre histoire commune où nous croyions avoir définitivement rompu avec le rejet obscurantiste de l’altérité, la hiérarchisation des cultures, la remise en question de cette indispensable « Civilisation de l’Universel », si chère au poète-président Léopold Sédar Senghor. Que l’auteur convoque, à l’entame de son ouvrage, des vers aux accents funèbres de Senghor, ancien prisonnier dans un stalag durant la Seconde Guerre ​mondiale, mais plus tard pèlerin inlassable d’un humanisme universaliste pour l’avènement d’un monde riche de ses différences, rassemblé dans un rendez-vous fraternel du « donner et du recevoir », voilà qui d’entrée de jeu donne tout son sens à l’idéalisme de son héros, Charles N’​Tchoréré.

 La trajectoire du héros Charles N’Tchoréré

La trajectoire de Charles, on pourrait la résumer dans la célèbre formule du ​philosophe grec Diogène de Sinope – également appelé Diogène le Cynique ou Diogène le Chien –​, déambulant inlassablement en plein jour, une lampe à la main, et clamant sans cesse : « Je cherche l’homme ».

Le jeune Charles fait l’expérience du métissage culturel. Dès ses très jeunes années, il s’abreuve à l’école occidentale dont il reçoit les premiers rudiments à travers une éducation chrétienne catholique. Il en apprécie l’universalisme fondamental, l’ouverture à l’autre, les valeurs de solidarité et de partage, de compassion pour la veuve et l’orphelin.

Mais voilà que, lorsque dans son Gabon natal, comme tous les jeunes de son âge, il se fait initier à la sagesse et à la connaissance de ses ancêtres, il suscite l’ire de l’un de ses formateurs qui ne décolère pas : « Alors, mon petit Charles, est-il vrai que tu as été initié au Bwiti ? » (p. 29)​

Le jeune Charles fait ainsi l’expérience dramatique de l’exigence de dépossession culturelle que charrie ce propos indigne du religieux. Il croyait plutôt avoir accompli un pas de plus vers sa vocation d’homme. Ni reniement ni renonciation. Il y voit plutôt un enrichissement en souvenir des sages conseils du vieil Okili :​ « Il s’agit de richesses inépuisables qui s’accroissent d’autant plus qu’on les partage, de richesses qui élèvent, grandissent et permettent de voir clair. Il s’agit de la Connaissance. » (chap. 2, p. 26)

Désillusion

Le jeune Charles n’est cependant qu’au matin de ses désillusions.

Il découvre, à son grand dam, que certains parmi ses formateurs ont une conception hégémonique de la fameuse « mission civilisatrice ». Pour ceux-là, il s’agit de parvenir à une européanisation des jeunes Africains, alors que, pour d’autres parmi ses maîtres, l’objectif ultime est l’accomplissement plénier de leurs apprenants : « Le père Jean versus le frère Germain, deux conceptions de la mission civilisatrice : “ Nous n’avons assurément pas la même conception de l’œuvre à accomplir ici. Pour vous, nos écoliers devraient être des négrillons oisifs n’ayant nul besoin d’éducation. Justement, c’est pour leur en offrir une que nous autres, frères de Saint-Gabriel, sommes là ; nous aimerions donc que vous arrêtiez d’entraver notre action”. » (p. 33)

Les questionnements de plus en plus lancinants, le drame existentiel qui s’empare du jeune Charles, ne sont pas sans rappeler ceux qui ballottent la conscience juvénile de Samba Diallo, le héros de L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane ; traversé qu’il fut par le dilemme du choix entre sa culture islamique native du pays des Diallobé et la nécessité de l’enrichir des fondamentaux de la culture occidentale.

Il sera en outre enjoint au jeune pensionnaire des spiritains de se distinguer de ses congénères au prétexte péjoratif qu’ils sont des « broussards » : « Ainsi s’exprimait parfois le père Jean lorsqu’il nous encourageait à parler français plutôt que nos langues maternelles. Et il surenchérissait, la langue gourmande, voire grondante : “Il est impératif pour tous ceux qui aspirent à devenir des hommes instruits et distingués de se montrer, en toutes circonstances, différents des broussards. Im-pé-ra-tif !” » (p. 41)​

Charles aura connu ce hiatus, si caractéristique du discours sur la « mission civilisatrice », entre les propos formellement rassembleurs sur notre humanité commune et les réalités tragiques d’un monde où la quête effrénée du profit, la conquête des positions de pouvoir et de prestige n’ont de cesse de gagner les âmes et les relations entre les peuples. Il voit s’effondrer un monde soumis aux puissances infernales de l’argent. Il vivra, la mort dans l’âme, l’institutionnalisation coloniale du travail forcé, la réduction en esclavage de vaillantes populations contraintes de produire des richesses qui ne profitent qu’à leurs maîtres, la destruction d’écosystèmes et d’équilibres sociaux millénaires : « Des dizaines de milliers d’hectares avaient ainsi été arrachés aux​ populations autochtones, souvent contraintes d’abandonner leurs terroirs pour s’atteler au développement des cultures d’exportation telles que le palmier à huile, le café, le cacao, l’hévéa ou encore la banane. Depuis, l’essor de ces exploitations s’accompagnait d’une pénurie de main-d’œuvre aggravée par les rudes conditions de travail et la mortalité due à des pathologies endémiques comme la malaria, la dysenterie et la maladie du sommeil ». (p. 67)​

Charles N’Tchoréré, édifié à la vie

La Première Guerre mondiale, puis la Seconde achèveront d’édifier Charles sur la réalité d’un monde qui l’aura défait de ses « illusions ». Il aura fait l’expérience tragique de « la vie en face ». Mobilisé durant la Seconde Guerre mondiale, face au peloton d’exécution nazi, il fera l’expérience d’une hiérarchisation féroce des peuples.

Au demeurant, Charles, de toutes les forces de son âme, s’emploiera à transcender les affres de la déshumanisation de la guerre. Au lieu de s’ériger en chantre de la haine entre les peuples, il s’affirmera comme ce héraut inlassable de l’acceptation des différences et de la paix. Fidèle en cela à une résolution qu’il prit très tôt en dépit des mises en garde du sage Okili : « Le poisson pourrit peut-être et avant tout par la tête, poursuivait-il ; et la tienne a laissé s’infiltrer un amour excessif pour un pouvoir qui n’a pas donné les preuves qu’il est des nôtres. Je te parle là de la France, ta patrie d’adoption, à laquelle tu as abandonné corps et âme. Une nation qui continue de nous assujettir, de nous piétiner, de nous massacrer, de nous piller, de nous exploiter à son seul profit est une marraine de complaisance. Elle avance des bras rutilants d’or pour mieux nous séduire et nous réduire. » (p. 91) « Et, en dépit des exhortations ouvertement ségrégationnistes du frère Germain : « Gardez-vous donc de tout égalitarisme enfantin. Noirs et Blancs ne seront jamais égaux ». Aussi pris-je la résolution que, ma vie durant, je prouverais que Blancs et Noirs étaient semblables. » (p. 71)​

Témoignage d’humanisme et de fraternité

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lors de laquelle Charles fut témoin d’innommables crimes qui conduiraient bien d’autres à désespérer des hommes et de tout rapprochement possible entre les peuples, le jeune homme aura fait du reste de ses jours un témoignage vivant d’humanisme et de fraternité en actes.

Il n’est pas superflu de relever que, même au cœur des pires horreurs de la guerre, alors même que sa propre vie était en péril, il demandera à un officier allemand une sépulture pour le capitaine Rawa Ouédraogo qui venait d’être froidement abattu par son collègue de la Wehrmacht qui n’avait pas supporté l’affront à son endroit du tirailleur sénégalais. L’oreille curieusement attentive que porta l’officier allemand à sa demande, quoique sans suite, est l’un de ces moments d’exceptionnelle humanité qui atteste qu’il ne faut pas désespérer des hommes.

Dans la trajectoire de Charles, un autre moment décisif sera sa rencontre avec Claire Broussard : « Cette élégante brune, svelte, pétillante, lumineuse, présidait la fondation de L’Entraide du soldat indigène en France. Jouant les entremetteurs, Kojo ne se contenta pas de louer mes qualités auprès de Claire ou de mettre en avant mon statut de blessé de guerre, il lui raconta toute mon histoire. Un préalable qui la mit en confiance. Quant à moi, j’étais hypnotisé par ses grands yeux noirs. » (p. 150)​

Cette rencontre ne sera pas seulement le début d’une histoire d’amour entre Charles et Claire. Ce sera l’antithèse des nombreux poncifs et autres préjugés qu’aura douloureusement enjambés Charles, oscillant entre des moments de profonde déréliction et des lueurs d’espoir pour un monde meilleur. L’un et l’autre, à l’échelle modeste qui est la leur, posent les indispensables jalons d’un cheminement et d’un monde différent, à contre-courant des pages sombres d’un autre monde dont les drames s’étalent sous leurs yeux.

Charles, en couple avec Claire, continua de servir dans l’armée française au sein de laquelle il fit par ailleurs une belle carrière d’officier : « L’excellence était ma motivation. Le colonel Jules Antoine Bührer, patron du 23e régiment d’infanterie coloniale auquel j’appartenais désormais, était un homme de parole et de caractère. Jamais je n’avais senti chez lui cette sourde condescendance que beaucoup d’officiers supérieurs blancs affichaient à l’égard des soldats indigènes. Il appréciait mon travail et ne ratait pas une occasion​ de me prodiguer des conseils, en particulier dans la gestion de mes relations avec la hiérarchie militaire […]. J’avais reçu un courrier du cabinet du ministre m’informant de ma nomination au grade de chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur, par un décret signé du président Gaston Doumergue. » (p. 170)​

Le Testament de Charles aurait tout aussi bien pu s’intituler L’Héritage de Charles, qu’il semble résumer en une phrase : « Comme disait le vieil Okili, sans que je veuille l’entendre, en ce monde, ce sont d’abord les hommes qui doivent changer. » (p. 211)

 

Facebook
Twitter
LinkedIn