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Les ambitions minières de la Russie en Afrique

Les ambitions minières de la Russie en Afrique. Article écrit par Éric Topona. Publié le 29 septembre 2025à 07h10

⏱ Temps de lecture estimé : 6 minutes

C’est une répétition inutile que de le rappeler, l’Afrique, comme une certaine littérature le dit ordinairement de la République ​démocratique du Congo, est un « scandale géologique ». Cette réalité ne semble pas avoir échappé à la Russie de Vladimir Poutine, pour le meilleur de la Russie et probablement le pire de l’Afrique.. Évoquer les ambitions minières de la Russie en Afrique, avec ses vérités connues et ses dissimulations, c’est sortir des sentiers battus d’une certaine littérature qui a n’a eu de cesse de présenter Vladimir Poutine comme cet homme providentiel venu de Moscou pour accompagner l’Afrique jusqu’à son indépendance véritable qu’elle revendiquerait depuis plus de six décennies en vain. Ce narratif, pourtant fallacieux, a fait son chemin au sein d’une bonne frange des opinions publiques africaines – qu’ils sont de plus en plus nombreux à relayer –, sans esprit critique ni souci d’investigation. Or, l’envers du décor est tout autre. Il faut d’abord rappeler le contexte économique et géopolitique dans lequel se trouve actuellement la Russie. Conjoncture économique difficile de la Russie Convertie à une économie de guerre depuis l’invasion de l’Ukraine dans une guerre dont le terme ne cesse de s’éloigner, la Russie doit faire face, d’une part, aux lourdes sanctions économiques qui lui sont infligées par les alliés de l’Ukraine et, d’autre part, aux besoins nécessaires du fonctionnement de son économie afin de maintenir ses équilibres internes. En outre, antérieurement aux sanctions économiques des soutiens à l’Ukraine qui ont connu une montée en puissance depuis trois années, l’économie russe est sous sanctions occidentales depuis l’annexion de la Géorgie et de la Crimée. Face à cette conjoncture, il devenait indispensable et urgent pour la Russie de garantir ses sources d’approvisionnement en termes d’accès aux matières premières vitales pour son économie. Cette approche était d’autant plus impérieuse que Moscou se doit de sortir de sa trop grande dépendance à l’exploration et à l’exportation du gaz et du pétrole, comme l’atteste une étude récente de l’Institut français des relations internationales (IFRI) intitulée La stratégie minière russe. Ambitions géopolitiques et défis industriels (avril 2023) : « Depuis une décennie, la Russie mène une politique minière ambitieuse afin d’élargir ses sources de revenus, mais également de sortir de sa trop grande dépendance aux hydrocarbures. De l’exploitation des gisements de diamants et de la maîtrise de sa chaîne de valeur dans la haute technologie à la relance de la filière houillère, la Russie compte poursuivre le développement et la modernisation d’un secteur industriel, épargné par les sanctions et désormais stratégique. Cette orientation offre deux avantages majeurs, a fortiori dans le contexte actuel d’isolement partiel et de sanctions : d’une part, les exportations minières autorisent une gestion plus souple que celles des hydrocarbures, car leurs voies d’acheminement sont modulables ; d’autre part, l’expertise russe dans ce domaine constitue un instrument d’influence géopolitique, notamment en Afrique. » Ambitions de Moscou dans des pays en conflit Toutefois, si nul ne peut faire le reproche à la Russie de Poutine de diversifier ses sources d’approvisionnement en minerais stratégiques, il y a cependant lieu de questionner les conditions dans lesquelles son intérêt grandissant pour les richesses du sous-sol africain sont effectuées. La République centrafricaine, sous la présidence de ​Faustin-Archange Touadéra, demeure l’une des destinations privilégiées vers lesquelles les Russes affirment sur le terrain leur intérêt marqué pour les mines africaines. Or, dans ce pays, comme au Mali, au Soudan ou en RDC, pour ne citer que ces exemples, on relève que ​M​oscou déploie prioritairement ses ambitions minières dans des pays qui sont des théâtres de conflits de long terme. Ces lieux d’exploitation minière, dans des États fragiles ou faillis, leur accordent de facto une sorte d’ascendant sur leurs partenaires africains ; en outre, ils leur garantissent une totale opacité dans l’exercice de leurs activités. Pour revenir à la RCA, il faut se rappeler une actualité récente révélée par le magazine Africa Intelligence, faisant état d’une facture présentée par l’Africa Corps – nouvelle dénomination de Wagner –  et si élevée que son règlement, selon les dires mêmes d’un officiel à Bangui, était de nature à remettre en cause les équilibres budgétaires d​u pays. Dans la même dynamique d’opacité et de mépris des règles en matière d’exploitation et de commercialisation de certains minerais, conformément notamment au ​processus de Kimberley​ (un régime commercial international, créé en 2003, qui vise à mettre fin au commerce des diamants de conflit en assurant la traçabilité des diamants bruts tout au long de la chaîne d’approvisionnement​), les entreprises minières russes, à l’instar de celles qui ont longtemps opéré sous le couvert du Groupe paramilitaire Wagner d’Evgueni Prigogine, ont été indexées à plusieurs​ reprises par des enquêtes fort documentées en raison de leurs graves atteintes aux droits humains. À cet égard, force est de constater que Prigogine, comme ses successeurs, est présent dans des pays où l’État de droit ne cesse de perdre du terrain, à l’instar des juntes militaires du Sahel. Dans ces pays, les hommes de Wagner ont été depuis longtemps accusés par les forces d’​opposition de servir de bras armés aux côtés de pouvoirs autoritaires pour réprimer toute revendication politique démocratiquement exprimée. ​En définitive, les ambitions minières de la Russie en Afrique ne sont pas seulement économiques. Tant s’en faut ! Elles sont aussi géopolitiques, comme en témoigne par exemple l’implication de Moscou dans la guerre en cours au Soudan, où elle est porteuse d’un projet de construction d’une base navale avec accès à la mer Rouge.  .

⏱ Temps de lecture estimé : 6 minutes

C’est une répétition inutile que de le rappeler, l’Afrique, comme une certaine littérature le dit ordinairement de la République ​démocratique du Congo, est un « scandale géologique ». Cette réalité ne semble pas avoir échappé à la Russie de Vladimir Poutine, pour le meilleur de la Russie et probablement le pire de l’Afrique.

Évoquer les ambitions minières de la Russie en Afrique, avec ses vérités connues et ses dissimulations, c’est sortir des sentiers battus d’une certaine littérature qui a n’a eu de cesse de présenter Vladimir Poutine comme cet homme providentiel venu de Moscou pour accompagner l’Afrique jusqu’à son indépendance véritable qu’elle revendiquerait depuis plus de six décennies en vain. Ce narratif, pourtant fallacieux, a fait son chemin au sein d’une bonne frange des opinions publiques africaines – qu’ils sont de plus en plus nombreux à relayer –, sans esprit critique ni souci d’investigation. Or, l’envers du décor est tout autre. Il faut d’abord rappeler le contexte économique et géopolitique dans lequel se trouve actuellement la Russie.

Conjoncture économique difficile de la Russie

Convertie à une économie de guerre depuis l’invasion de l’Ukraine dans une guerre dont le terme ne cesse de s’éloigner, la Russie doit faire face, d’une part, aux lourdes sanctions économiques qui lui sont infligées par les alliés de l’Ukraine et, d’autre part, aux besoins nécessaires du fonctionnement de son économie afin de maintenir ses équilibres internes. En outre, antérieurement aux sanctions économiques des soutiens à l’Ukraine qui ont connu une montée en puissance depuis trois années, l’économie russe est sous sanctions occidentales depuis l’annexion de la Géorgie et de la Crimée.

Face à cette conjoncture, il devenait indispensable et urgent pour la Russie de garantir ses sources d’approvisionnement en termes d’accès aux matières premières vitales pour son économie. Cette approche était d’autant plus impérieuse que Moscou se doit de sortir de sa trop grande dépendance à l’exploration et à l’exportation du gaz et du pétrole, comme l’atteste une étude récente de l’Institut français des relations internationales (IFRI) intitulée La stratégie minière russe. Ambitions géopolitiques et défis industriels (avril 2023) : « Depuis une décennie, la Russie mène une politique minière ambitieuse afin d’élargir ses sources de revenus, mais également de sortir de sa trop grande dépendance aux hydrocarbures. De l’exploitation des gisements de diamants et de la maîtrise de sa chaîne de valeur dans la haute technologie à la relance de la filière houillère, la Russie compte poursuivre le développement et la modernisation d’un secteur industriel, épargné par les sanctions et désormais stratégique. Cette orientation offre deux avantages majeurs, a fortiori dans le contexte actuel d’isolement partiel et de sanctions : d’une part, les exportations minières autorisent une gestion plus souple que celles des hydrocarbures, car leurs voies d’acheminement sont modulables ; d’autre part, l’expertise russe dans ce domaine constitue un instrument d’influence géopolitique, notamment en Afrique. »

Ambitions de Moscou dans des pays en conflit

Toutefois, si nul ne peut faire le reproche à la Russie de Poutine de diversifier ses sources d’approvisionnement en minerais stratégiques, il y a cependant lieu de questionner les conditions dans lesquelles son intérêt grandissant pour les richesses du sous-sol africain sont effectuées. La République centrafricaine, sous la présidence de ​Faustin-Archange Touadéra, demeure l’une des destinations privilégiées vers lesquelles les Russes affirment sur le terrain leur intérêt marqué pour les mines africaines.

Or, dans ce pays, comme au Mali, au Soudan ou en RDC, pour ne citer que ces exemples, on relève que ​M​oscou déploie prioritairement ses ambitions minières dans des pays qui sont des théâtres de conflits de long terme.

Ces lieux d’exploitation minière, dans des États fragiles ou faillis, leur accordent de facto une sorte d’ascendant sur leurs partenaires africains ; en outre, ils leur garantissent une totale opacité dans l’exercice de leurs activités.

Pour revenir à la RCA, il faut se rappeler une actualité récente révélée par le magazine Africa Intelligence, faisant état d’une facture présentée par l’Africa Corps – nouvelle dénomination de Wagner –  et si élevée que son règlement, selon les dires mêmes d’un officiel à Bangui, était de nature à remettre en cause les équilibres budgétaires d​u pays.

Dans la même dynamique d’opacité et de mépris des règles en matière d’exploitation et de commercialisation de certains minerais, conformément notamment au ​processus de Kimberley​ (un régime commercial international, créé en 2003, qui vise à mettre fin au commerce des diamants de conflit en assurant la traçabilité des diamants bruts tout au long de la chaîne d’approvisionnement​), les entreprises minières russes, à l’instar de celles qui ont longtemps opéré sous le couvert du Groupe paramilitaire Wagner d’Evgueni Prigogine, ont été indexées à plusieurs​ reprises par des enquêtes fort documentées en raison de leurs graves atteintes aux droits humains.

À cet égard, force est de constater que Prigogine, comme ses successeurs, est présent dans des pays où l’État de droit ne cesse de perdre du terrain, à l’instar des juntes militaires du Sahel. Dans ces pays, les hommes de Wagner ont été depuis longtemps accusés par les forces d’​opposition de servir de bras armés aux côtés de pouvoirs autoritaires pour réprimer toute revendication politique démocratiquement exprimée.

​En définitive, les ambitions minières de la Russie en Afrique ne sont pas seulement économiques. Tant s’en faut ! Elles sont aussi géopolitiques, comme en témoigne par exemple l’implication de Moscou dans la guerre en cours au Soudan, où elle est porteuse d’un projet de construction d’une base navale avec accès à la mer Rouge.

 

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