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Arrestation de Moussa Mara au Mali: la liberté d’expression à l’épreuve

Arrestation de Moussa Mara au Mali: la liberté d’expression à l’épreuve. Article écrit par Geneviève Goëtzinger. Publié le 2 octobre 2025à 11h50

⏱ Temps de lecture estimé : 4 minutes

​Arrêté le 1er août dernier, l’ex-Premier ministre, Moussa Mara est inculpé pour « atteinte au crédit de l’État » et « opposition à l’autorité légitime. Il est poursuivi pour un message publié en juillet sur le réseau social X (anciennement Twitter), dans lequel il affirmait rendre visite régulièrement à des prisonniers d’opinion et leur témoignait sa solidarité. Le tribunal de lutte contre la cybercriminalité de Bamako a requis le 29 septembre deux ans de prison. Le délibéré est attendu pour le 27 octobre. L'analyse de Geneviève Goëtzinger.. L’ancien Premier ministre Moussa Mara est une figure majeure de l’espace public au Mali. Depuis le début de la transition militaire, il s’est attaché à assumer une posture de responsabilité démocratique, cherchant à maintenir un espace de débat civique, en dépit des risques personnels. Son procès ouvert le 29 septembre à Bamako devant le Pôle national de lutte contre la cybercriminalité concentre une question fondamentale : quelle place reste-t-il pour la liberté d’expression dans un État marqué par l’autoritarisme et la crise démocratique ? Un message pacifique transformé en délit Tout part d’un post Facebook publié en juillet 2025. Moussa Mara y exprimait sa solidarité envers des détenus d’opinion, dans un ton pacifique et métaphorique : « Aussi longtemps que dure la nuit, le soleil finira évidemment par apparaître ! » Le Ministère public a pourtant retenu quatre infractions graves : atteinte au crédit de l’État, opposition à l’autorité légitime, incitation au trouble à l’ordre public et diffusion de fausses nouvelles.  Ce contraste saisissant entre la réalité des mots et les réquisitions interroge : un message symbolique peut-il justifier une telle criminalisation ? Les arguments de la défense : droit interne et engagements internationaux Les avocats de l’ancien Premier ministre invoquent plusieurs références : l’incompétence du Pôle cybercriminalité, la nullité de l’avertissement à prévenu, la prescription de trois mois propres aux délits de presse, et l’exception d’inconstitutionnalité des articles 242-1 et 242-40 du Code pénal malien. Ils rappellent que l’article 4 de la Constitution malienne garantit la liberté d’expression, tout comme l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils s’appuient sur une jurisprudence internationale constante et sans ambiguïté : En 2014, la Cour africaine des droits de l’homme, dans l’affaire Konaté c/ Burkina Faso a jugé disproportionnée l’incarcération pour délit de presse ; la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire Handyside c/ Royaume-Uni a rappelé dans un jugement datant de 2016 que la liberté d’expression protège aussi les propos qui choquent ou dérangent l’État. Un procès politique ? Le procès Mara s’inscrit dans une tendance plus large en Afrique de l’Ouest : au Sénégal, l’opposant Ousmane Sonko a été poursuivi dans des conditions contestées ; au Burkina Faso, l’affaire Konaté a déjà mis en lumière les abus du droit pénal contre la presse ; au Niger, Ibrahim Yacouba est en détention préventive dans une affaire sordide dont les auteurs présumés l’ont pourtant innocenté lors de quatre confrontations successives. En Côte d’Ivoire, les controverses sur la nationalité et l’éligibilité montrent comment le droit peut être instrumentalisé. Dans tous ces cas, la justice est appelée à trancher non pas en droit, mais au service d’intérêts politiques. Un jugement au-delà du cas Mara Le 27 octobre, la Cour d’appel de Bamako ne se prononcera pas seulement sur le sort de Moussa Mara. Elle dira si le Mali reste fidèle à ses engagements constitutionnels et internationaux. Une condamnation, même symbolique, confirmerait l’idée d’un espace démocratique rétréci. Une relaxe, au contraire, serait un acte de courage judiciaire et un signe de vitalité démocratique. Ce n’est pas seulement Moussa Mara qui est jugé, mais la liberté d’expression elle-même. Dans une région où les transitions militaires se multiplient, assimiler toute voix critique à une menace contre l’État affaiblit encore davantage la légitimité des pouvoirs de fait au lieu de la renforcer. En poursuivant un ancien Premier ministre pour un message pacifique, un simple message de solidarité, le Mali envoie un signal préoccupant. L’enjeu de la décision attendue le 27 octobre est celui de l’équité. Le verdict à venir dira si la justice demeure le rempart des libertés ou si elle devient l’instrument de leur étouffement..

⏱ Temps de lecture estimé : 4 minutes

​Arrêté le 1er août dernier, l’ex-Premier ministre, Moussa Mara est inculpé pour « atteinte au crédit de l’État » et « opposition à l’autorité légitime. Il est poursuivi pour un message publié en juillet sur le réseau social X (anciennement Twitter), dans lequel il affirmait rendre visite régulièrement à des prisonniers d’opinion et leur témoignait sa solidarité. Le tribunal de lutte contre la cybercriminalité de Bamako a requis le 29 septembre deux ans de prison. Le délibéré est attendu pour le 27 octobre. L’analyse de Geneviève Goëtzinger.

L’ancien Premier ministre Moussa Mara est une figure majeure de l’espace public au Mali. Depuis le début de la transition militaire, il s’est attaché à assumer une posture de responsabilité démocratique, cherchant à maintenir un espace de débat civique, en dépit des risques personnels. Son procès ouvert le 29 septembre à Bamako devant le Pôle national de lutte contre la cybercriminalité concentre une question fondamentale : quelle place reste-t-il pour la liberté d’expression dans un État marqué par l’autoritarisme et la crise démocratique ?

Un message pacifique transformé en délit

Tout part d’un post Facebook publié en juillet 2025. Moussa Mara y exprimait sa solidarité envers des détenus d’opinion, dans un ton pacifique et métaphorique : « Aussi longtemps que dure la nuit, le soleil finira évidemment par apparaître ! »

Le Ministère public a pourtant retenu quatre infractions graves : atteinte au crédit de l’État, opposition à l’autorité légitime, incitation au trouble à l’ordre public et diffusion de fausses nouvelles.  Ce contraste saisissant entre la réalité des mots et les réquisitions interroge : un message symbolique peut-il justifier une telle criminalisation ?

Les arguments de la défense : droit interne et engagements internationaux

Les avocats de l’ancien Premier ministre invoquent plusieurs références : l’incompétence du Pôle cybercriminalité, la nullité de l’avertissement à prévenu, la prescription de trois mois propres aux délits de presse, et l’exception d’inconstitutionnalité des articles 242-1 et 242-40 du Code pénal malien.

Ils rappellent que l’article 4 de la Constitution malienne garantit la liberté d’expression, tout comme l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Ils s’appuient sur une jurisprudence internationale constante et sans ambiguïté :

En 2014, la Cour africaine des droits de l’homme, dans l’affaire Konaté c/ Burkina Faso a jugé disproportionnée l’incarcération pour délit de presse ; la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire Handyside c/ Royaume-Uni a rappelé dans un jugement datant de 2016 que la liberté d’expression protège aussi les propos qui choquent ou dérangent l’État.

Un procès politique ?

Le procès Mara s’inscrit dans une tendance plus large en Afrique de l’Ouest : au Sénégal, l’opposant Ousmane Sonko a été poursuivi dans des conditions contestées ; au Burkina Faso, l’affaire Konaté a déjà mis en lumière les abus du droit pénal contre la presse ; au Niger, Ibrahim Yacouba est en détention préventive dans une affaire sordide dont les auteurs présumés l’ont pourtant innocenté lors de quatre confrontations successives. En Côte d’Ivoire, les controverses sur la nationalité et l’éligibilité montrent comment le droit peut être instrumentalisé.

Dans tous ces cas, la justice est appelée à trancher non pas en droit, mais au service d’intérêts politiques.

Un jugement au-delà du cas Mara

Le 27 octobre, la Cour d’appel de Bamako ne se prononcera pas seulement sur le sort de Moussa Mara. Elle dira si le Mali reste fidèle à ses engagements constitutionnels et internationaux. Une condamnation, même symbolique, confirmerait l’idée d’un espace démocratique rétréci. Une relaxe, au contraire, serait un acte de courage judiciaire et un signe de vitalité démocratique.

Ce n’est pas seulement Moussa Mara qui est jugé, mais la liberté d’expression elle-même. Dans une région où les transitions militaires se multiplient, assimiler toute voix critique à une menace contre l’État affaiblit encore davantage la légitimité des pouvoirs de fait au lieu de la renforcer.

En poursuivant un ancien Premier ministre pour un message pacifique, un simple message de solidarité, le Mali envoie un signal préoccupant. L’enjeu de la décision attendue le 27 octobre est celui de l’équité. Le verdict à venir dira si la justice demeure le rempart des libertés ou si elle devient l’instrument de leur étouffement.

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