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Cameroun: ELECAM, publier sans montrer

Cameroun: ELECAM, publier sans montrer. Article écrit par Pascal Kouoh Mbongo. Publié le 8 septembre 2025à 07h45

⏱ Temps de lecture estimé : 8 minutes

Dans cette tribune, Pascal Kouoh Mbongo, jurisconsulte en affaires publiques, politiste et historien, décrypte les carences liées au fonctionnement d'ELECAM, l’organe de gestion des élections au Cameroun. Selon lui, la loi camerounaise exige clairement la publication effective de la liste électorale, tant à l’échelle locale que nationale. L’interprétation actuelle d’ELECAM vide cette exigence de son sens en la réduisant à un service de consultation individuelle sans portée collective.. « En démocratie, la loi électorale est plus importante que la Constitution. » Cette affirmation d’Alexis de Tocqueville souligne combien les règles encadrant le vote fondent la légitimité des institutions. Au Cameroun, pourtant, la loi électorale, loin de garantir transparence et fiabilité, rend elle-même pratiquement impossibles l’établissement et la publication d’une liste électorale crédible. À cela s’ajoute un problème sérieux sur la publication de la liste électorale nationale, que l’organe en charge, ELECAM, interprète de façon restrictive et peu convaincante. En refusant la publication intégrale des listes, ELECAM neutralise la possibilité pour les citoyens ou les partis politiques de vérifier les inscriptions, comme le prévoit pourtant la loi. La loi électorale camerounaise, en multipliant des exigences aussi rigides qu’impraticables, se sabote elle-même. Elle pose des conditions d’exclusion électorale juridiquement impossibles à vérifier dans le contexte camerounais et ne fournit aucun cadre clair pour appliquer ses propres exigences de manière équitable. En l’état, établir une liste électorale fiable est juridiquement et techniquement irréalisable, sauf à procéder à une réforme profonde, à la fois législative, administrative et technologique, dans un esprit de transparence et de cohérence institutionnelle. Pilier fondamental de la démocratie L’élaboration d’une liste électorale fiable constitue un pilier fondamental de toute démocratie. Au Cameroun, cependant, cette tâche se heurte à des obstacles juridiques majeurs contenus dans la législation électorale elle-même. L’analyse de certains articles de la loi en vigueur, combinée à des constats pratiques, révèle une contradiction profonde entre l’objectif de fiabilité et les moyens juridiques disponibles. Deux problèmes essentiels peuvent être identifiés. Le premier problème est celui des incapacités électorales juridiquement inaccessibles. L’article 47 de la loi électorale camerounaise exclut un large éventail de personnes du droit d’inscription sur les listes électorales : « Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale : a) les personnes condamnées pour crime, même par défaut ; b) les personnes condamnées à une peine privative de liberté sans sursis supérieure à trois (03) mois ; […] d) les personnes qui font l’objet d’un mandat d’arrêt ; […] f) les aliénés mentaux. » (Article 47) Cette liste d’incapacités électorales repose sur des critères judiciaires et médicaux objectivement définis, mais particulièrement invérifiables, sauf à disposer d’un accès complet au casier judiciaire national, à un système d’interconnexion de fichiers judiciaires, pénitentiaires, psychiatriques, voire fiscaux, et à des moyens de croisement automatisé des données sur des millions de citoyens. Or la loi ne prévoit aucune disposition concrète permettant à ELECAM de vérifier ces informations. Elle ne définit pas les modalités d’accès aux données judiciaires ni les entités habilitées à les consulter. Cela soulève au demeurant un problème de principe : un tel accès généraliserait la consultation directe du casier judiciaire, jusqu’ici réservée quasi exclusivement à la police judiciaire ou aux magistrats. Une solution, au moins partielle, pourrait consister, pour le législateur, à confier cette vérification à des magistrats spécialisés qui informeraient ensuite ELECAM de manière confidentielle. Le second obstacle réside dans la condition de résidence énoncée à l’article 72 : « La liste électorale comprend tous les électeurs inscrits résidant dans la commune depuis au moins six (06) mois. » (Article 72) Cette exigence semble logique en théorie, mais devient problématique en l’absence de mécanismes incontestables de preuve. La loi ne précise pas les documents admissibles pour attester d’une résidence effective. Toutefois, la carte nationale d’identité, couramment utilisée à cette fin, est notoirement peu fiable : – l’adresse qui y figure est fréquemment sujette à caution ou obsolète ; – il n’existe aucun fichier communal ou national de domiciliation fiable ; – ELECAM n’a pas de doctrine administrative claire en la matière ni d’agents assermentés ayant un accès aux fichiers fiscaux ou domiciliaires, ce qui laisse les décisions à l’appréciation subjective ou potentiellement corruptible des agents sur le terrain. Dès lors, l’application de la loi dépend largement de procédures informelles, parfois incohérentes, et non de standards juridiques objectifs et vérifiables. Des recours inefficaces Le recours à des “commissions mixtes compétentes” et à des partenariats avec des acteurs internationaux comme l’ONU pour la formation des agents ne pallie ni le vide juridique ni l’absence de moyens concrets pour éviter les fraudes, les inscriptions multiples ou les manipulations locales. Au cœur de la fiabilité du processus électoral camerounais se trouve une question fondamentale : celle de la publication de la liste électorale nationale. Ce débat, qui peut sembler purement technique, est en réalité profondément juridique et politique, tant il engage les principes de transparence, de contrôle démocratique et de respect des droits fondamentaux. La législation électorale prévoit bel et bien une publicité des listes électorales, mais ELECAM en propose une lecture restrictive, voire dénaturée, au mépris du sens commun, du texte de la loi et de ses implications concrètes. Selon l’article 80 du Code électoral : « Le Directeur général des élections établit et rend publique la liste électorale nationale au plus tard le 30 décembre. » Toutefois, ELECAM soutient, en substance, que cette obligation est satisfaite par la possibilité, offerte à chaque citoyen, de vérifier individuellement son inscription sur le site web de l’institution. Mais une telle interprétation est juridiquement iconoclaste. Le verbe “publier” n’a rien d’équivoque : publier une liste, c’est la rendre accessible dans son intégralité au public, et non permettre une consultation fragmentaire, limitée à son propre nom. Ce que propose ELECAM ne constitue pas une “publication” au sens du droit, mais une consultation individuelle restreinte, qui n’offre aucune garantie de transparence ni de contrôle citoyen. Des manquements préjudiciables Le flou entretenu par ELECAM provient également de la superposition de deux niveaux de listes : les listes communales affichées dans les mairies (article 78 alinéa 2) et la liste électorale nationale (article 80). En théorie, cette architecture permet une double vérification : locale (par commune) et centrale (au niveau national). Mais, dans les faits, ELECAM ne rend aucune liste complète réellement accessible, ni dans les communes ni à l’échelle nationale. Ce défaut de publication empêche l’application concrète de l’article 81 (2), qui prévoit : « Tout parti politique, tout électeur, tout mandataire […] peut saisir le Conseil électoral de toute demande en réclamation ou contestation relative notamment à une omission, une erreur ou une inscription d’un électeur plusieurs fois sur la liste électorale nationale. » Cette disposition suppose nécessairement l’accès à la liste complète, pour pouvoir constater une erreur, une omission ou une double inscription. Cependant, comment un citoyen – ou un parti politique – pourrait-il exercer ce droit sans voir l’ensemble des inscrits ? Cette contradiction vide l’article 81 (2) de sa portée juridique et affaiblit ainsi un droit fondamental : celui de contester les irrégularités. ELECAM justifie souvent sa réticence à publier l’intégralité de la liste électorale par le respect de la vie privée, évoquant la présence de données personnelles comme la date de naissance ou la commune de résidence. Mais cet argument est techniquement et juridiquement dépassé. D’une part, dans la réalité numérique contemporaine, les citoyens exposent eux-mêmes quotidiennement des informations personnelles bien plus sensibles sur les réseaux sociaux : leur localisation en temps réel, leurs habitudes alimentaires, leurs opinions politiques, etc. D’autre part, il existe des solutions juridiques et techniques éprouvées à travers le monde pour rendre publique une liste électorale tout en protégeant la vie privée : – l’anonymisation partielle via la suppression des informations sensibles (comme le jour et le mois de naissance), tout en conservant celles nécessaires à l’identification citoyenne (nom, initiale du prénom, année de naissance, lieu d’inscription) ; – l’accès encadré via la consultation sur demande et via une procédure vérifiée, pour les partis politiques, observateurs, journalistes, chercheurs ; – une base de données ouverte et contrôlée avec horodatage, traçabilité des consultations et mesures de sécurité. Autrement dit, l’opposition entre transparence électorale et vie privée est artificielle. Libre ensuite à chacun de considérer qu’elle traduit ou non une volonté de conserver le contrôle sur l’information plus qu’un réel souci de protection des données. La loi camerounaise exige clairement la “publication” effective de la liste électorale, tant à l’échelle locale que nationale. L’interprétation actuelle d’ELECAM vide cette exigence de son sens, en la réduisant à un service de consultation individuelle sans portée collective..

⏱ Temps de lecture estimé : 8 minutes

Dans cette tribune, Pascal Kouoh Mbongo, jurisconsulte en affaires publiques, politiste et historien, décrypte les carences liées au fonctionnement d’ELECAM, l’organe de gestion des élections au Cameroun. Selon lui, la loi camerounaise exige clairement la publication effective de la liste électorale, tant à l’échelle locale que nationale. L’interprétation actuelle d’ELECAM vide cette exigence de son sens en la réduisant à un service de consultation individuelle sans portée collective.

« En démocratie, la loi électorale est plus importante que la Constitution. » Cette affirmation d’Alexis de Tocqueville souligne combien les règles encadrant le vote fondent la légitimité des institutions. Au Cameroun, pourtant, la loi électorale, loin de garantir transparence et fiabilité, rend elle-même pratiquement impossibles l’établissement et la publication d’une liste électorale crédible. À cela s’ajoute un problème sérieux sur la publication de la liste électorale nationale, que l’organe en charge, ELECAM, interprète de façon restrictive et peu convaincante. En refusant la publication intégrale des listes, ELECAM neutralise la possibilité pour les citoyens ou les partis politiques de vérifier les inscriptions, comme le prévoit pourtant la loi.

La loi électorale camerounaise, en multipliant des exigences aussi rigides qu’impraticables, se sabote elle-même. Elle pose des conditions d’exclusion électorale juridiquement impossibles à vérifier dans le contexte camerounais et ne fournit aucun cadre clair pour appliquer ses propres exigences de manière équitable. En l’état, établir une liste électorale fiable est juridiquement et techniquement irréalisable, sauf à procéder à une réforme profonde, à la fois législative, administrative et technologique, dans un esprit de transparence et de cohérence institutionnelle.

Pilier fondamental de la démocratie

L’élaboration d’une liste électorale fiable constitue un pilier fondamental de toute démocratie. Au Cameroun, cependant, cette tâche se heurte à des obstacles juridiques majeurs contenus dans la législation électorale elle-même. L’analyse de certains articles de la loi en vigueur, combinée à des constats pratiques, révèle une contradiction profonde entre l’objectif de fiabilité et les moyens juridiques disponibles. Deux problèmes essentiels peuvent être identifiés.

Le premier problème est celui des incapacités électorales juridiquement inaccessibles.

L’article 47 de la loi électorale camerounaise exclut un large éventail de personnes du droit d’inscription sur les listes électorales :

« Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale :

  1. a) les personnes condamnées pour crime, même par défaut ;
  2. b) les personnes condamnées à une peine privative de liberté sans sursis supérieure à trois (03) mois ;

[…]
d) les personnes qui font l’objet d’un mandat d’arrêt ;

[…]
f) les aliénés mentaux. » (Article 47)

Cette liste d’incapacités électorales repose sur des critères judiciaires et médicaux objectivement définis, mais particulièrement invérifiables, sauf à disposer d’un accès complet au casier judiciaire national, à un système d’interconnexion de fichiers judiciaires, pénitentiaires, psychiatriques, voire fiscaux, et à des moyens de croisement automatisé des données sur des millions de citoyens.

Or la loi ne prévoit aucune disposition concrète permettant à ELECAM de vérifier ces informations. Elle ne définit pas les modalités d’accès aux données judiciaires ni les entités habilitées à les consulter. Cela soulève au demeurant un problème de principe : un tel accès généraliserait la consultation directe du casier judiciaire, jusqu’ici réservée quasi exclusivement à la police judiciaire ou aux magistrats.

Une solution, au moins partielle, pourrait consister, pour le législateur, à confier cette vérification à des magistrats spécialisés qui informeraient ensuite ELECAM de manière confidentielle.

Le second obstacle réside dans la condition de résidence énoncée à l’article 72 : « La liste électorale comprend tous les électeurs inscrits résidant dans la commune depuis au moins six (06) mois. » (Article 72)

Cette exigence semble logique en théorie, mais devient problématique en l’absence de mécanismes incontestables de preuve. La loi ne précise pas les documents admissibles pour attester d’une résidence effective.

Toutefois, la carte nationale d’identité, couramment utilisée à cette fin, est notoirement peu fiable :

– l’adresse qui y figure est fréquemment sujette à caution ou obsolète ;

– il n’existe aucun fichier communal ou national de domiciliation fiable ;

– ELECAM n’a pas de doctrine administrative claire en la matière ni d’agents assermentés ayant un accès aux fichiers fiscaux ou domiciliaires, ce qui laisse les décisions à l’appréciation subjective ou potentiellement corruptible des agents sur le terrain.

Dès lors, l’application de la loi dépend largement de procédures informelles, parfois incohérentes, et non de standards juridiques objectifs et vérifiables.

Des recours inefficaces

Le recours à des “commissions mixtes compétentes” et à des partenariats avec des acteurs internationaux comme l’ONU pour la formation des agents ne pallie ni le vide juridique ni l’absence de moyens concrets pour éviter les fraudes, les inscriptions multiples ou les manipulations locales.

Au cœur de la fiabilité du processus électoral camerounais se trouve une question fondamentale : celle de la publication de la liste électorale nationale. Ce débat, qui peut sembler purement technique, est en réalité profondément juridique et politique, tant il engage les principes de transparence, de contrôle démocratique et de respect des droits fondamentaux.

La législation électorale prévoit bel et bien une publicité des listes électorales, mais ELECAM en propose une lecture restrictive, voire dénaturée, au mépris du sens commun, du texte de la loi et de ses implications concrètes.

Selon l’article 80 du Code électoral : « Le Directeur général des élections établit et rend publique la liste électorale nationale au plus tard le 30 décembre. »

Toutefois, ELECAM soutient, en substance, que cette obligation est satisfaite par la possibilité, offerte à chaque citoyen, de vérifier individuellement son inscription sur le site web de l’institution.

Mais une telle interprétation est juridiquement iconoclaste. Le verbe “publier” n’a rien d’équivoque : publier une liste, c’est la rendre accessible dans son intégralité au public, et non permettre une consultation fragmentaire, limitée à son propre nom. Ce que propose ELECAM ne constitue pas une “publication” au sens du droit, mais une consultation individuelle restreinte, qui n’offre aucune garantie de transparence ni de contrôle citoyen.

Des manquements préjudiciables

Le flou entretenu par ELECAM provient également de la superposition de deux niveaux de listes : les listes communales affichées dans les mairies (article 78 alinéa 2) et la liste électorale nationale (article 80).

En théorie, cette architecture permet une double vérification : locale (par commune) et centrale (au niveau national). Mais, dans les faits, ELECAM ne rend aucune liste complète réellement accessible, ni dans les communes ni à l’échelle nationale. Ce défaut de publication empêche l’application concrète de l’article 81 (2), qui prévoit : « Tout parti politique, tout électeur, tout mandataire […] peut saisir le Conseil électoral de toute demande en réclamation ou contestation relative notamment à une omission, une erreur ou une inscription d’un électeur plusieurs fois sur la liste électorale nationale. »

Cette disposition suppose nécessairement l’accès à la liste complète, pour pouvoir constater une erreur, une omission ou une double inscription. Cependant, comment un citoyen – ou un parti politique – pourrait-il exercer ce droit sans voir l’ensemble des inscrits ? Cette contradiction vide l’article 81 (2) de sa portée juridique et affaiblit ainsi un droit fondamental : celui de contester les irrégularités.

ELECAM justifie souvent sa réticence à publier l’intégralité de la liste électorale par le respect de la vie privée, évoquant la présence de données personnelles comme la date de naissance ou la commune de résidence. Mais cet argument est techniquement et juridiquement dépassé.

D’une part, dans la réalité numérique contemporaine, les citoyens exposent eux-mêmes quotidiennement des informations personnelles bien plus sensibles sur les réseaux sociaux : leur localisation en temps réel, leurs habitudes alimentaires, leurs opinions politiques, etc.

D’autre part, il existe des solutions juridiques et techniques éprouvées à travers le monde pour rendre publique une liste électorale tout en protégeant la vie privée :

– l’anonymisation partielle via la suppression des informations sensibles (comme le jour et le mois de naissance), tout en conservant celles nécessaires à l’identification citoyenne (nom, initiale du prénom, année de naissance, lieu d’inscription) ;

– l’accès encadré via la consultation sur demande et via une procédure vérifiée, pour les partis politiques, observateurs, journalistes, chercheurs ;

– une base de données ouverte et contrôlée avec horodatage, traçabilité des consultations et mesures de sécurité.

Autrement dit, l’opposition entre transparence électorale et vie privée est artificielle. Libre ensuite à chacun de considérer qu’elle traduit ou non une volonté de conserver le contrôle sur l’information plus qu’un réel souci de protection des données.

La loi camerounaise exige clairement la “publication” effective de la liste électorale, tant à l’échelle locale que nationale. L’interprétation actuelle d’ELECAM vide cette exigence de son sens, en la réduisant à un service de consultation individuelle sans portée collective.

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