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Saleh Kebzabo: « Il n’y a pas que des conflits armés au Tchad »

Saleh Kebzabo: « Il n’y a pas que des conflits armés au Tchad ». Article écrit par Éric Topona. Publié le 29 septembre 2025à 15h40

⏱ Temps de lecture estimé : 12 minutes

Le Médiateur de la République du Tchad, l'ambassadeur Saleh Kebzabo, répond aux questions de VentdAfrique.com. Journaliste de formation, il préside depuis 1992 l'Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR). Il a occupé plusieurs fonctions politiques à divers niveaux : tour à tour ministre, député, Premier ministre de transition. L’ambassadeur Saleh Kebzabo est donc l'une des personnalités politiques incontournables de la vie politique tchadienne.. Le parcours professionnel et politique de l’ancien opposant à Idriss Déby Itno, sa connaissance des rouages de la haute administration​ publique de son pays et son aura à l’international en font à la fois l’un des grands témoins et l’un des grands acteurs de la marche du Tchad contemporain. ​C’est à ce titre qu’il s’exprime dans ​VentdAfrique.com sur le sens de ses fonctions​ de Médiateur de la République et sur ​certains sujets brûlants de ​l’actualité politique nationale dans l’exercice de sa mission de pacificateur de la République. Interview. Ventdafrique.com : Le 5 février 2024, vous avez été nommé par décret Médiateur de la République. Un peu plus d’un an après, vous sentez-vous à l’aise dans vos nouvelles fonctions ? Amb. Saleh Kebzabo : Quand on est nommé à une fonction publique comme celle-ci, votre propre satisfaction n’est pas la chose la plus importante. C’est le travail fait qui est important en fin de compte. Le plus important, c’est d’être à l’écoute des populations que l’on sert. Tout comme les conflits qui surgissent dans l’administration entre les travailleurs et l’État central. Il en est de même des conflits intercommunautaires, des conflits fonciers, des conflits entre éleveurs et agriculteurs. Sans oublier les rébellions contre l’État. Face à tous ces défis, nous avons fait ce qu’il était possible de faire. Les résultats que nous avons enregistrés sont globalement positifs. Ventdafrique.com : Pouvez-vous nous citer en quelques exemples vos acquis ? Qu’est-ce que vous avez fait concrètement pour désamorcer certains foyers de tension ? Amb. Saleh Kebzabo : C‘est un ​peu ce que j’ai voulu montrer dans ce que nous faisons pour qu’on en voie la variété. Mais vous les réduisez aux seuls foyers de tensions. Vous avez des syndicalistes. Par exemple, dans le cas d’une grève sèche qui va vous priver de la santé publique et de l’enseignement ou de tout autre service public, nous sommes intervenus pour arrêter des grèves afin qu’elles ne soient pas déclenchées. On a géré certains problèmes entre l’administration et les administrés. Nous avons été saisis par exemple pour régler les problèmes de chefferie traditionnelle dans les cantons qui veulent s’installer et qui éprouvent des difficultés. Globalement, ceux qui ne connaissent pas bien la mission du Médiateur de la République ne voient que les conflits armés. Mais il n’y a pas que les conflits armés. Il ne faut pas sous-estimer tous les autres conflits. Nous sommes aujourd’hui sur un dossier très compliqué : la situation qui prévaut dans le Tibesti (Nord-ouest du pays, ndlr). Les forces récemment déployées dans la province du Tibesti ne sont pas destinées à porter atteinte aux populations civiles de cette partie du pays, si c’est n’est pour faire respecter l’autorité de l’État. Il y a des gens qui ont apparemment un intérêt à tirer les ficelles, un intérêt personnel. Nous espérons bien conclure globalement avec nos frères du Tibesti un accord définitif. On a déjà conclu, le 20 avril dernier, un accord de paix avec cette milice du Tibesti, mettant ainsi un terme à plusieurs années d’instabilité dans la localité aurifère de Miski. L’accord que j’ai signé en tant que Médiateur de la République prévoit une amnistie générale pour les membres des forces tchadiennes de défense et de sécurité et pour ceux du comité d’autodéfense de Miski qui ont participé aux affrontements pendant la période 2019-2020. ​Je rappelle, pour m’en réjouir, qu’un accord  de paix a été signé récemment  entre le Gouvernement tchadien et le Comité populaire Diffa Al-Watan de Miski. L’accord  de paix historique est « destiné à consolider la stabilité et à favoriser le développement dans la région  du Tibesti ». L’accord a été signé grace à la facilitation de Monsieur  Brahim Edji Mahamat, diplomate de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad). D’autres avenants le seront aussi avec d’autres groupes afin que, d’ici quelques semaines, nous puissions vraiment en finir afin que les enfants de cette partie du pays puissent respirer, jouir de leur liberté, des richesses nombreuses, variées, énormes, de leur région dont ils sont privés aujourd’hui, et faire en sorte qu’ils se sentent Tchadiens à part entière et non entièrement à part. C’est pour cela que nous sommes en train de nous battre en ce moment. Ventdafrique.com : Pourtant, selon nos informations, les hostilités auraient repris dans le Tibesti entre les membres du comité d’autodéfense et l’armée nationale tchadienne qui a été redéployée dans la région. Amb. Saleh Kebzabo : Non, il n’y a aucune hostilité, aucune arme qui a crépité. Ce n’est pas vrai. Ce sont des informations erronées. Pour freiner ou annuler ce que nous sommes en train de faire de positif, il y a des gens qui ont un intérêt à ce que la situation se détériore. Ils ont intérêt à ce qu’il y ait une tension dans le Tibesti. C’est une des régions les plus riches de notre pays. Mais elle souffre de ses richesses justement. Ils sont nombreux qui souhaiteraient que la situation n’évolue guère afin que ces richesses continuent d’être bradées comme elles le sont actuellement. C’est le sens de l’appel que nous lançons aux enfants du Tibesti pour qu’ils comprennent qu’il faut que nous sortions de cette situation pour entrer dans une autre ère où les richesses minières et touristiques profiteront globalement à tout le Tibesti et à tout le Tchad et pas seulement à quelques individus. Ventdafrique.com : De plus en plus de voix, y compris au sein du gouvernement, se disent favorables à l’adhésion du Tchad à l’Alliance des États du Sahel (AES). Quel est votre point de vue ? Amb. Saleh Kebzabo : Nous avons, il y a quelques semaines, écouté effectivement le porte-parole du gouvernement, Gassim Chérif Mahamat, dire cela. Et il a précisé s’être exprimé à titre personnel. Nous lui avons fait comprendre qu’un porte-parole du gouvernement ne parle pas à titre personnel, il parle au nom du gouvernement et je crois que cette mise au point a été faite. Cela étant, moi, Médiateur de la République, je pense qu’il n’y a absolument aucun acte qui a été posé en direction de l’AES. Le moment venu, je m’expliquerai plus longuement là-dessus, mais je peux d’ores et déjà dire que, pour l’instant, le Tchad n’a pas l’intention d’adhérer à l’AES. Car l’AES appartient à une autre région. Les pays qui la forment ont une autre histoire, une autre culture, un autre environnement. Nous n’avons donc pas une histoire commune qui peut nous amener à être ensemble dans une direction comme celle que nous voyons aujourd’hui. Le Tchad reste un pays démocratique. Nous avons géré notre transition avec beaucoup de bonheur. Nous vivons une démocratie assez difficile, certes, mais une démocratie pluraliste qui fait que la liberté d’expression existe dans notre pays. Je ne vois pas pourquoi on va adhérer à l’AES. Dans les pays ​qui en font partie, des voix critiques sont arrêtées, emprisonnées, d’autres disparaissent, des partis politiques sont dissous et la liberté de presse est bâillonnée. Ventdafrique.com : Comment analysez-vous l’environnement actuel dans les pays de l’AES ? Amb. Saleh Kebzabo : Je ne souhaite pas donner mon point de vue là-dessus parce que je suis Médiateur de la République du Tchad. Et j’ai un devoir de réserve sur ce qui se passe dans les autres pays, qu’ils soient voisins ou lointains. Donc je vais garder, non pas une neutralité, mais un devoir de réserve qu’il est important de préserver. Parce que ma parole a une portée. Je ne souhaite pas qu’elle puisse être mal interprétée ou mal comprise. Ventdafrique.com : Dans le contexte des transitions politiques observées dans certains pays de la sous-région, comment les institutions indépendantes comme la Médiature peuvent-elles contribuer à la préservation des libertés fondamentales et à la promotion du dialogue entre les citoyens et les autorités ? Amb. Saleh Kebzabo : La Médiature est une organisation tchadienne. Nous œuvrons pour plus de liberté et de paix, pour l’unité et la réconciliation nationale. Ce sont les maîtres-mots qui guident nos actions pour éviter que notre pays ne revive des périodes sombres de son histoire. Vous savez, la conquête des libertés est une œuvre difficile et de très longue haleine ; et elle n’est jamais terminée. Elle n’est jamais, jamais achevée. Nous continuons à nous battre pour que les libertés conquises demeurent. Nous allons continuer à nous battre pour qu’il n’y ait plus de dérive dictatoriale dans notre pays, parce que ces reculs pourraient advenir à tout moment. Et lorsque pareille situation se fait jour, il est toujours difficile de s’en extirper. Je crois que c’est ce que nous vivons depuis la transition. Nous le voulons, nous l’avons souhaité et nous allons continuer à vivre dans la liberté. C’est la chose la plus importante. Dans un pays comme le nôtre, c’est un acquis qu’il faut préserver absolument parce que, sans liberté, on ne peut absolument rien entreprendre de profond dans un pays. Nous allons donc nous battre. Et dans la fonction que j’occupe aussi. Je vais me battre pour que ce soit en toute liberté que nous continuerons de travailler dans notre pays pour que la démocratie demeure une réalité. Ventdafrique.com : Depuis le 26 juillet 2023, le président Mohamed Bazoum est toujours détenu à Niamey, en compagnie de son épouse, après son renversement par l’ancien commandant de la garde présidentielle nigérienne, le général Abdourahamane Tiani. Son sort semble ne plus préoccuper l’opinion africaine et internationale. Le pensez-vous aussi ? Amb. Saleh Kebzabo : Je ne le pense pas et je n’ai pas le droit de le penser. Sur un plan tout à fait personnel, le président Bazoum et son épouse sont des amis de longue date. Je continuerai toujours à les soutenir pour diverses raisons : politiques et humaines, entre autres. Ils ont mon appui. Ils ont aussi l’appui de beaucoup de pays, de beaucoup d’institutions internationales. Il ne faut pas penser que leur cas est tombé dans l’oubli. Pas du tout. Il y a des actions qui sont menées sur le plan diplomatique. Donc, pour leur réussite, il ne faut pas les ébruiter, mais des actions sont menées pour obtenir leur liberté, leur libération. Ventdafrique.com : L’ancien Premier ministre de transition, Succès Masra, a été condamné mi-mai dans le cadre des violences de Mandakao à 20 ans de prison et à verser une amende d’un milliard de francs CFA (environ 1,5 million d’euros). Il a été reconnu coupable par la Première chambre criminelle de la Cour d’appel de N’Djamena pour « diffusion de messages à caractère haineux et xénophobe » et de « complicité de meurtre ». Son procès a-t-il été équitable ? Amb. Saleh Kebzabo : Je n’ai pas d’opinion en tant que telle à donner sur sa condamnation. Succès Masra est un leader politique d’envergure. Tout le monde le sait et le reconnaît. Je voudrais tout de même rappeler que le symbole, l’idole de Masra, c’est Mandela, et donc ça veut dire qu’il sait que, quand on est un grand leader politique, malheureusement pour nous en Afrique, on passe toujours par la case prison. Maintenant, cela est-il justifié ou pas ? Ça, c’est un autre débat. Mais je voudrais tout simplement dire qu’il faut que nous restions dans la légalité. On ne peut pas agir en dehors de la légalité. On doit respecter la liberté des personnes. On doit, pour toute interpellation, de quelque nature que ce soit, le faire dans les règles de l’art, c’est-à-dire respecter le droit, rester dans le droit, juger dans le droit, condamner ou pas, éventuellement dans le droit. Ainsi, l’affaire Masra n’est pas une petite affaire, c’est une affaire nationale. Et il faut qu’on s’entoure de toutes les règles et de toutes les garanties de droit pour gérer cette affaire et éviter tout dérapage de quelque nature que ce soit, d’où qu’il vienne. Ventdafrique.com : Peut-être qu’il pourrait bénéficier d’une mesure de clémence, d’une grâce présidentielle ou d’une amnistie si toutes les voies de recours qu’il a intentées n’aboutissent pas ? Amb. Saleh Kebzabo : Je pense que, pour le moment, on n’y est pas encore arrivé. Propos recueillis par Éric Topona..

⏱ Temps de lecture estimé : 12 minutes

Le Médiateur de la République du Tchad, l’ambassadeur Saleh Kebzabo, répond aux questions de VentdAfrique.com. Journaliste de formation, il préside depuis 1992 l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR). Il a occupé plusieurs fonctions politiques à divers niveaux : tour à tour ministre, député, Premier ministre de transition. L’ambassadeur Saleh Kebzabo est donc l’une des personnalités politiques incontournables de la vie politique tchadienne.

Le parcours professionnel et politique de l’ancien opposant à Idriss Déby Itno, sa connaissance des rouages de la haute administration publique de son pays et son aura à l’international en font à la fois l’un des grands témoins et l’un des grands acteurs de la marche du Tchad contemporain. C’est à ce titre qu’il s’exprime dans VentdAfrique.com sur le sens de ses fonctions de Médiateur de la République et sur certains sujets brûlants de l’actualité politique nationale dans l’exercice de sa mission de pacificateur de la République. Interview.

Ventdafrique.com : Le 5 février 2024, vous avez été nommé par décret Médiateur de la République. Un peu plus d’un an après, vous sentez-vous à l’aise dans vos nouvelles fonctions ?

Amb. Saleh Kebzabo : Quand on est nommé à une fonction publique comme celle-ci, votre propre satisfaction n’est pas la chose la plus importante. C’est le travail fait qui est important en fin de compte.

Le plus important, c’est d’être à l’écoute des populations que l’on sert. Tout comme les conflits qui surgissent dans l’administration entre les travailleurs et l’État central.

Il en est de même des conflits intercommunautaires, des conflits fonciers, des conflits entre éleveurs et agriculteurs. Sans oublier les rébellions contre l’État.

Face à tous ces défis, nous avons fait ce qu’il était possible de faire. Les résultats que nous avons enregistrés sont globalement positifs.

Ventdafrique.com : Pouvez-vous nous citer en quelques exemples vos acquis ? Qu’est-ce que vous avez fait concrètement pour désamorcer certains foyers de tension ?

Amb. Saleh Kebzabo : C‘est un ​peu ce que j’ai voulu montrer dans ce que nous faisons pour qu’on en voie la variété. Mais vous les réduisez aux seuls foyers de tensions.

Vous avez des syndicalistes. Par exemple, dans le cas d’une grève sèche qui va vous priver de la santé publique et de l’enseignement ou de tout autre service public, nous sommes intervenus pour arrêter des grèves afin qu’elles ne soient pas déclenchées.

On a géré certains problèmes entre l’administration et les administrés.

Nous avons été saisis par exemple pour régler les problèmes de chefferie traditionnelle dans les cantons qui veulent s’installer et qui éprouvent des difficultés.

Globalement, ceux qui ne connaissent pas bien la mission du Médiateur de la République ne voient que les conflits armés.

Mais il n’y a pas que les conflits armés. Il ne faut pas sous-estimer tous les autres conflits.

Nous sommes aujourd’hui sur un dossier très compliqué : la situation qui prévaut dans le Tibesti (Nord-ouest du pays, ndlr). Les forces récemment déployées dans la province du Tibesti ne sont pas destinées à porter atteinte aux populations civiles de cette partie du pays, si c’est n’est pour faire respecter l’autorité de l’État. Il y a des gens qui ont apparemment un intérêt à tirer les ficelles, un intérêt personnel.

Nous espérons bien conclure globalement avec nos frères du Tibesti un accord définitif. On a déjà conclu, le 20 avril dernier, un accord de paix avec cette milice du Tibesti, mettant ainsi un terme à plusieurs années d’instabilité dans la localité aurifère de Miski. L’accord que j’ai signé en tant que Médiateur de la République prévoit une amnistie générale pour les membres des forces tchadiennes de défense et de sécurité et pour ceux du comité d’autodéfense de Miski qui ont participé aux affrontements pendant la période 2019-2020. ​Je rappelle, pour m’en réjouir, qu’un accord  de paix a été signé récemment  entre le Gouvernement tchadien et le Comité populaire Diffa Al-Watan de Miski. L’accord  de paix historique est « destiné à consolider la stabilité et à favoriser le développement dans la région  du Tibesti ». L’accord a été signé grace à la facilitation de Monsieur  Brahim Edji Mahamat, diplomate de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad).

D’autres avenants le seront aussi avec d’autres groupes afin que, d’ici quelques semaines, nous puissions vraiment en finir afin que les enfants de cette partie du pays puissent respirer, jouir de leur liberté, des richesses nombreuses, variées, énormes, de leur région dont ils sont privés aujourd’hui, et faire en sorte qu’ils se sentent Tchadiens à part entière et non entièrement à part. C’est pour cela que nous sommes en train de nous battre en ce moment.

Ventdafrique.com : Pourtant, selon nos informations, les hostilités auraient repris dans le Tibesti entre les membres du comité d’autodéfense et l’armée nationale tchadienne qui a été redéployée dans la région.

Amb. Saleh Kebzabo : Non, il n’y a aucune hostilité, aucune arme qui a crépité. Ce n’est pas vrai. Ce sont des informations erronées.

Pour freiner ou annuler ce que nous sommes en train de faire de positif, il y a des gens qui ont un intérêt à ce que la situation se détériore. Ils ont intérêt à ce qu’il y ait une tension dans le Tibesti. C’est une des régions les plus riches de notre pays. Mais elle souffre de ses richesses justement. Ils sont nombreux qui souhaiteraient que la situation n’évolue guère afin que ces richesses continuent d’être bradées comme elles le sont actuellement.

C’est le sens de l’appel que nous lançons aux enfants du Tibesti pour qu’ils comprennent qu’il faut que nous sortions de cette situation pour entrer dans une autre ère où les richesses minières et touristiques profiteront globalement à tout le Tibesti et à tout le Tchad et pas seulement à quelques individus.

Ventdafrique.com : De plus en plus de voix, y compris au sein du gouvernement, se disent favorables à l’adhésion du Tchad à l’Alliance des États du Sahel (AES). Quel est votre point de vue ?

Amb. Saleh Kebzabo : Nous avons, il y a quelques semaines, écouté effectivement le porte-parole du gouvernement, Gassim Chérif Mahamat, dire cela. Et il a précisé s’être exprimé à titre personnel. Nous lui avons fait comprendre qu’un porte-parole du gouvernement ne parle pas à titre personnel, il parle au nom du gouvernement et je crois que cette mise au point a été faite.

Cela étant, moi, Médiateur de la République, je pense qu’il n’y a absolument aucun acte qui a été posé en direction de l’AES.

Le moment venu, je m’expliquerai plus longuement là-dessus, mais je peux d’ores et déjà dire que, pour l’instant, le Tchad n’a pas l’intention d’adhérer à l’AES. Car l’AES appartient à une autre région. Les pays qui la forment ont une autre histoire, une autre culture, un autre environnement. Nous n’avons donc pas une histoire commune qui peut nous amener à être ensemble dans une direction comme celle que nous voyons aujourd’hui. Le Tchad reste un pays démocratique.

Nous avons géré notre transition avec beaucoup de bonheur.

Nous vivons une démocratie assez difficile, certes, mais une démocratie pluraliste qui fait que la liberté d’expression existe dans notre pays.

Je ne vois pas pourquoi on va adhérer à l’AES. Dans les pays ​qui en font partie, des voix critiques sont arrêtées, emprisonnées, d’autres disparaissent, des partis politiques sont dissous et la liberté de presse est bâillonnée.

Ventdafrique.com : Comment analysez-vous l’environnement actuel dans les pays de l’AES ?

Amb. Saleh Kebzabo : Je ne souhaite pas donner mon point de vue là-dessus parce que je suis Médiateur de la République du Tchad. Et j’ai un devoir de réserve sur ce qui se passe dans les autres pays, qu’ils soient voisins ou lointains.

Donc je vais garder, non pas une neutralité, mais un devoir de réserve qu’il est important de préserver. Parce que ma parole a une portée. Je ne souhaite pas qu’elle puisse être mal interprétée ou mal comprise.

Ventdafrique.com : Dans le contexte des transitions politiques observées dans certains pays de la sous-région, comment les institutions indépendantes comme la Médiature peuvent-elles contribuer à la préservation des libertés fondamentales et à la promotion du dialogue entre les citoyens et les autorités ?

Amb. Saleh Kebzabo : La Médiature est une organisation tchadienne. Nous œuvrons pour plus de liberté et de paix, pour l’unité et la réconciliation nationale. Ce sont les maîtres-mots qui guident nos actions pour éviter que notre pays ne revive des périodes sombres de son histoire.

Vous savez, la conquête des libertés est une œuvre difficile et de très longue haleine ; et elle n’est jamais terminée.

Elle n’est jamais, jamais achevée. Nous continuons à nous battre pour que les libertés conquises demeurent.

Nous allons continuer à nous battre pour qu’il n’y ait plus de dérive dictatoriale dans notre pays, parce que ces reculs pourraient advenir à tout moment. Et lorsque pareille situation se fait jour, il est toujours difficile de s’en extirper.

Je crois que c’est ce que nous vivons depuis la transition.

Nous le voulons, nous l’avons souhaité et nous allons continuer à vivre dans la liberté.

C’est la chose la plus importante. Dans un pays comme le nôtre, c’est un acquis qu’il faut préserver absolument parce que, sans liberté, on ne peut absolument rien entreprendre de profond dans un pays.

Nous allons donc nous battre. Et dans la fonction que j’occupe aussi.

Je vais me battre pour que ce soit en toute liberté que nous continuerons de travailler dans notre pays pour que la démocratie demeure une réalité.

Ventdafrique.com : Depuis le 26 juillet 2023, le président Mohamed Bazoum est toujours détenu à Niamey, en compagnie de son épouse, après son renversement par l’ancien commandant de la garde présidentielle nigérienne, le général Abdourahamane Tiani. Son sort semble ne plus préoccuper l’opinion africaine et internationale. Le pensez-vous aussi ?

Amb. Saleh Kebzabo : Je ne le pense pas et je n’ai pas le droit de le penser. Sur un plan tout à fait personnel, le président Bazoum et son épouse sont des amis de longue date.

Je continuerai toujours à les soutenir pour diverses raisons : politiques et humaines, entre autres. Ils ont mon appui.

Ils ont aussi l’appui de beaucoup de pays, de beaucoup d’institutions internationales. Il ne faut pas penser que leur cas est tombé dans l’oubli.

Pas du tout. Il y a des actions qui sont menées sur le plan diplomatique. Donc, pour leur réussite, il ne faut pas les ébruiter, mais des actions sont menées pour obtenir leur liberté, leur libération.

Ventdafrique.com : L’ancien Premier ministre de transition, Succès Masra, a été condamné mi-mai dans le cadre des violences de Mandakao à 20 ans de prison et à verser une amende d’un milliard de francs CFA (environ 1,5 million d’euros). Il a été reconnu coupable par la Première chambre criminelle de la Cour d’appel de N’Djamena pour « diffusion de messages à caractère haineux et xénophobe » et de « complicité de meurtre ». Son procès a-t-il été équitable ?

Amb. Saleh Kebzabo : Je n’ai pas d’opinion en tant que telle à donner sur sa condamnation. Succès Masra est un leader politique d’envergure. Tout le monde le sait et le reconnaît. Je voudrais tout de même rappeler que le symbole, l’idole de Masra, c’est Mandela, et donc ça veut dire qu’il sait que, quand on est un grand leader politique, malheureusement pour nous en Afrique, on passe toujours par la case prison.

Maintenant, cela est-il justifié ou pas ?

Ça, c’est un autre débat. Mais je voudrais tout simplement dire qu’il faut que nous restions dans la légalité. On ne peut pas agir en dehors de la légalité.

On doit respecter la liberté des personnes. On doit, pour toute interpellation, de quelque nature que ce soit, le faire dans les règles de l’art, c’est-à-dire respecter le droit, rester dans le droit, juger dans le droit, condamner ou pas, éventuellement dans le droit.

Ainsi, l’affaire Masra n’est pas une petite affaire, c’est une affaire nationale.

Et il faut qu’on s’entoure de toutes les règles et de toutes les garanties de droit pour gérer cette affaire et éviter tout dérapage de quelque nature que ce soit, d’où qu’il vienne.

Ventdafrique.com : Peut-être qu’il pourrait bénéficier d’une mesure de clémence, d’une grâce présidentielle ou d’une amnistie si toutes les voies de recours qu’il a intentées n’aboutissent pas ?

Amb. Saleh Kebzabo : Je pense que, pour le moment, on n’y est pas encore arrivé.

Propos recueillis par Éric Topona.

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