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​ ​Au Mali, le JNIM dicte sa loi : la faillite d’un État face au djihadisme

​ ​Au Mali, le JNIM dicte sa loi : la faillite d’un État face au djihadisme. Article écrit par Mohamed AG Ahmedou. Publié le 22 octobre 2025à 16h29

⏱ Temps de lecture estimé : 6 minutes

Alors que le porte-parole du JNIM, Bina Diarra, lève son interdiction contre la compagnie Diarra Transport, le groupe impose désormais ses propres règles sociales et morales. Une illustration saisissante du vide laissé par un État malien affaibli depuis deux décennies et d’une junte militaire qui confond guerre et vengeance, estime Mohamed AG Ahmedou, journaliste et spécialiste des dynamiques politiques et sécuritaires sahélo-sahariennes.. Le 17 octobre 2025, un communiqué du porte-parole du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), Bina Diarra, a circulé sur les canaux de messagerie locaux. Dans ce message, le responsable djihadiste explique avoir levé l’interdiction frappant la compagnie Diarra Transport, à la suite des excuses publiques présentées par sa directrice. Mais ce pardon n’est pas gratuit : le JNIM y pose deux conditions.  En premier lieu : que la compagnie et son personnel « ne s’immiscent plus dans le conflit » opposant les djihadistes aux forces armées maliennes (FAMa). Ensuite, que toutes les femmes qui voyagent portent le hijab complet, sous peine d’interdiction de circuler. Sous des dehors purement religieux, cette annonce marque une étape supplémentaire dans l’effondrement de l’autorité de l’État malien : un groupe armé impose désormais des règles sociales et morales dans des zones où l’administration publique a disparu depuis longtemps. Un pouvoir djihadiste de substitution Le ton du communiqué en dit long. Bina Diarra parle d’« investigations », de « preuves » et de « justice divine » : autant de termes empruntés au vocabulaire administratif et judiciaire, comme pour se substituer à l’État défaillant. Sur le terrain, la situation est limpide : dans de vastes zones rurales du Mali, les djihadistes du JNIM remplissent les fonctions régaliennes. Ils règlent les différends, arbitrent les litiges, collectent des taxes et dictent leurs codes vestimentaires. Les compagnies de transport, les commerçants et les habitants se plient à leurs injonctions. Le Mali, pays souverain, vit désormais au rythme d’ordres diffusés par télégrammes audio de chefs religieux armés. La junte militaire à Bamako, occupée à vanter ses « succès militaires » à la télévision nationale, semble impuissante à reconquérir les cœurs et les territoires. Un long glissement commencé dans les années 2000 Ce vide sécuritaire et politique ne date pas d’hier. Dès le milieu des années 2000, le nord du Mali est devenu la base arrière du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, futur Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), mené par Mokhtar Belmokhtar, Abou Zeid et Yahya Abou el-Hammam. Installés dans les confins désertiques de Tombouctou et Kidal, ces groupes prospèrent dans l’indifférence totale des autorités maliennes. Des leaders religieux touaregs et arabes, parmi lesquels plusieurs imams respectés, dénoncent leurs agissements dès cette époque, sans jamais être entendus. Beaucoup seront assassinés ou poussés à l’exil. En 2008, un officier arabe de la région de Tombouctou, le colonel Lamana Ould Oubou, tente d’arrêter plusieurs collaborateurs d’AQMI. Le 10 juin 2009, il est abattu à son domicile par un commando islamiste. Quelques jours plus tard, un autre officier, le colonel Hamma Ould Sidi Yehia, rassemble des volontaires pour traquer les djihadistes. Il meurt en juin 2009, abattu dans le nord de Tombouctou. Ces deux assassinats, restés impunis, scellent la capitulation silencieuse de l’État malien face à AQMI, bien avant la chute du régime libyen. Quand la Mauritanie défendait le Mali à sa place En septembre 2010, ironie de l’histoire, l’armée mauritanienne mène plusieurs offensives contre AQMI dans le nord de Tombouctou, jusqu’à Hassi Sidi, à 200 kilomètres au-delà de sa propre frontière. L’armée malienne, elle, ne bouge pas. Cette inaction chronique a ouvert la voie à la consolidation de foyers djihadistes, d’abord dans les régions septentrionales, puis dans le centre et aujourd’hui jusque dans la périphérie de Bamako. Ce constat est partagé par des figures religieuses maliennes elles-mêmes. Le président du Haut Conseil islamique du Mali, Ousmane Madani Haïdara, ne mâche pas ses mots : « Il n’y a plus d’autorité dans ce pays. » L’imam Amadou Kouffa, aujourd’hui chef de la Katiba Macina, était connu des services maliens depuis la fin des années 2000. À plusieurs reprises arrêté, il fut relâché sans suite. Pour Haïdara, si l’État avait agi à temps, le Mali n’en serait pas là aujourd’hui. La guerre des apparences : une armée contre ses propres civils Depuis 2021, la junte du colonel Assimi Goïta a opté pour une stratégie militaire de communication. Sous couvert de « neutraliser des terroristes », l’armée malienne bombarde régulièrement des populations nomades touarègues et arabes, ainsi que leurs troupeaux. Des dizaines de témoignages de civils, corroborés par des organisations humanitaires, évoquent des massacres de femmes, d’enfants et de vieillards, tandis que les véritables bastions djihadistes demeurent intacts. Cette confusion entretenue entre populations civiles et combattants armés sert surtout à fabriquer une illusion de victoire. Les « bilans » diffusés par le ministère de la Défense ou les canaux pro-russes de Wagner vantent des centaines de « terroristes neutralisés », sans qu’aucune preuve indépendante soit fournie. Sur le terrain, la peur change simplement de visage : celle d’AQMI et du JNIM a été remplacée par celle des bombardements de l’armée. Un pays fragmenté, sans horizon d’État Treize ans après le début de la crise, plus de 800 écoles restent fermées dans le nord et le centre du Mali. Des générations entières grandissent sans éducation, dans des villages où les prêcheurs djihadistes remplacent les instituteurs. Pendant ce temps, Bamako organise des défilés militaires et promet une « souveraineté retrouvée ». Toutefois, sur le terrain, la souveraineté a changé de main. Le JNIM contrôle les routes, les marchés, les mosquées et même les règlements de dettes. Il édicte des normes sociales et morales auxquelles les Maliens obéissent, non par conviction, mais par peur. La tragédie d’un État absent Le Mali de 2025 illustre jusqu’à la caricature la faillite d’un État qui, depuis vingt ans, a préféré l’aveuglement à la réforme. Les élites de Bamako, souvent déconnectées des réalités du nord, ont laissé se propager le poison de la marginalisation. Les militaires qui ont pris le pouvoir promettaient une reconquête, mais ils ont hérité d’un pays fracturé et sans boussole. Aujourd’hui, pendant que le JNIM impose le port du voile sur les routes, le pouvoir d’Assimi Goïta bombarde des civils pour sauver les apparences. Entre ces deux violences, le peuple malien demeure seul, abandonné à son sort.  .

⏱ Temps de lecture estimé : 6 minutes

Alors que le porte-parole du JNIM, Bina Diarra, lève son interdiction contre la compagnie Diarra Transport, le groupe impose désormais ses propres règles sociales et morales. Une illustration saisissante du vide laissé par un État malien affaibli depuis deux décennies et d’une junte militaire qui confond guerre et vengeance, estime Mohamed AG Ahmedou, journaliste et spécialiste des dynamiques politiques et sécuritaires sahélo-sahariennes.

Le 17 octobre 2025, un communiqué du porte-parole du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), Bina Diarra, a circulé sur les canaux de messagerie locaux.

Dans ce message, le responsable djihadiste explique avoir levé l’interdiction frappant la compagnie Diarra Transport, à la suite des excuses publiques présentées par sa directrice.

Mais ce pardon n’est pas gratuit : le JNIM y pose deux conditions.  En premier lieu : que la compagnie et son personnel « ne s’immiscent plus dans le conflit » opposant les djihadistes aux forces armées maliennes (FAMa). Ensuite, que toutes les femmes qui voyagent portent le hijab complet, sous peine d’interdiction de circuler.

Sous des dehors purement religieux, cette annonce marque une étape supplémentaire dans l’effondrement de l’autorité de l’État malien : un groupe armé impose désormais des règles sociales et morales dans des zones où l’administration publique a disparu depuis longtemps.

Un pouvoir djihadiste de substitution

Le ton du communiqué en dit long. Bina Diarra parle d’« investigations », de « preuves » et de « justice divine » : autant de termes empruntés au vocabulaire administratif et judiciaire, comme pour se substituer à l’État défaillant.

Sur le terrain, la situation est limpide : dans de vastes zones rurales du Mali, les djihadistes du JNIM remplissent les fonctions régaliennes. Ils règlent les différends, arbitrent les litiges, collectent des taxes et dictent leurs codes vestimentaires.

Les compagnies de transport, les commerçants et les habitants se plient à leurs injonctions.

Le Mali, pays souverain, vit désormais au rythme d’ordres diffusés par télégrammes audio de chefs religieux armés.

La junte militaire à Bamako, occupée à vanter ses « succès militaires » à la télévision nationale, semble impuissante à reconquérir les cœurs et les territoires.

Un long glissement commencé dans les années 2000

Ce vide sécuritaire et politique ne date pas d’hier.

Dès le milieu des années 2000, le nord du Mali est devenu la base arrière du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, futur Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), mené par Mokhtar Belmokhtar, Abou Zeid et Yahya Abou el-Hammam.

Installés dans les confins désertiques de Tombouctou et Kidal, ces groupes prospèrent dans l’indifférence totale des autorités maliennes.

Des leaders religieux touaregs et arabes, parmi lesquels plusieurs imams respectés, dénoncent leurs agissements dès cette époque, sans jamais être entendus.

Beaucoup seront assassinés ou poussés à l’exil.

En 2008, un officier arabe de la région de Tombouctou, le colonel Lamana Ould Oubou, tente d’arrêter plusieurs collaborateurs d’AQMI.

Le 10 juin 2009, il est abattu à son domicile par un commando islamiste.

Quelques jours plus tard, un autre officier, le colonel Hamma Ould Sidi Yehia, rassemble des volontaires pour traquer les djihadistes. Il meurt en juin 2009, abattu dans le nord de Tombouctou.

Ces deux assassinats, restés impunis, scellent la capitulation silencieuse de l’État malien face à AQMI, bien avant la chute du régime libyen.

Quand la Mauritanie défendait le Mali à sa place

En septembre 2010, ironie de l’histoire, l’armée mauritanienne mène plusieurs offensives contre AQMI dans le nord de Tombouctou, jusqu’à Hassi Sidi, à 200 kilomètres au-delà de sa propre frontière.

L’armée malienne, elle, ne bouge pas.

Cette inaction chronique a ouvert la voie à la consolidation de foyers djihadistes, d’abord dans les régions septentrionales, puis dans le centre et aujourd’hui jusque dans la périphérie de Bamako.

Ce constat est partagé par des figures religieuses maliennes elles-mêmes.

Le président du Haut Conseil islamique du Mali, Ousmane Madani Haïdara, ne mâche pas ses mots : « Il n’y a plus d’autorité dans ce pays. »

L’imam Amadou Kouffa, aujourd’hui chef de la Katiba Macina, était connu des services maliens depuis la fin des années 2000.

À plusieurs reprises arrêté, il fut relâché sans suite.

Pour Haïdara, si l’État avait agi à temps, le Mali n’en serait pas là aujourd’hui.

La guerre des apparences : une armée contre ses propres civils

Depuis 2021, la junte du colonel Assimi Goïta a opté pour une stratégie militaire de communication.

Sous couvert de « neutraliser des terroristes », l’armée malienne bombarde régulièrement des populations nomades touarègues et arabes, ainsi que leurs troupeaux.

Des dizaines de témoignages de civils, corroborés par des organisations humanitaires, évoquent des massacres de femmes, d’enfants et de vieillards, tandis que les véritables bastions djihadistes demeurent intacts.

Cette confusion entretenue entre populations civiles et combattants armés sert surtout à fabriquer une illusion de victoire.

Les « bilans » diffusés par le ministère de la Défense ou les canaux pro-russes de Wagner vantent des centaines de « terroristes neutralisés », sans qu’aucune preuve indépendante soit fournie.

Sur le terrain, la peur change simplement de visage : celle d’AQMI et du JNIM a été remplacée par celle des bombardements de l’armée.

Un pays fragmenté, sans horizon d’État

Treize ans après le début de la crise, plus de 800 écoles restent fermées dans le nord et le centre du Mali.

Des générations entières grandissent sans éducation, dans des villages où les prêcheurs djihadistes remplacent les instituteurs.

Pendant ce temps, Bamako organise des défilés militaires et promet une « souveraineté retrouvée ».

Toutefois, sur le terrain, la souveraineté a changé de main. Le JNIM contrôle les routes, les marchés, les mosquées et même les règlements de dettes. Il édicte des normes sociales et morales auxquelles les Maliens obéissent, non par conviction, mais par peur.

La tragédie d’un État absent

Le Mali de 2025 illustre jusqu’à la caricature la faillite d’un État qui, depuis vingt ans, a préféré l’aveuglement à la réforme.

Les élites de Bamako, souvent déconnectées des réalités du nord, ont laissé se propager le poison de la marginalisation.

Les militaires qui ont pris le pouvoir promettaient une reconquête, mais ils ont hérité d’un pays fracturé et sans boussole.

Aujourd’hui, pendant que le JNIM impose le port du voile sur les routes, le pouvoir d’Assimi Goïta bombarde des civils pour sauver les apparences.

Entre ces deux violences, le peuple malien demeure seul, abandonné à son sort.

 

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