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Médiature du Tchad: des défis restent à relever

Médiature du Tchad: des défis restent à relever. Article écrit par Éric Topona. Publié le 29 septembre 2025à 15h35

⏱ Temps de lecture estimé : 6 minutes

Le Tchad a renoué avec les bons offices d’un médiateur de la République après le retour à l'ordre constitutionnel et la Ve République. Au regard de la fragilité de la paix sociale dans le pays, la Médiature de la République a d'énormes chantiers à parachever.. C’est un réflexe fort répandu dans les ​États modernes, bien au-delà des pays africains. Lorsque survient un différend ou une incompréhension entre un citoyen et l’État central, entre un administré et une administration, la tentation est grande de se tourner vers les tribunaux pour obtenir réparation. S’il est vrai qu’il s’agit d’une démarche républicaine qui ne peut qu’être saluée, il n’est pourtant pas nécessaire de recourir systématiquement à la justice des magistrats lorsqu’un litige oppose un citoyen à une institution investie d’une mission de service public. En maintes circonstances, la judiciarisation des litiges de cette nature peut être évitée au bénéfice d’un règlement pacifique et amiable. C’est dans cette optique qu’a été instituée la fonction de Médiateur de la République​ dans la constitution de la Ve République​ adoptée par référendum le 17 décembre, puis promulguée le 29 décembre 2023​. Aux origines de la Médiature Elle connaît ses débuts dans les pays scandinaves et anglo-saxons, notamment en Suède et en Angleterre. En revanche, dans sa configuration actuelle au Tchad comme dans certains pays africains, notamment francophones, cette fonction a été instituée sur le modèle français. Le Médiateur de la République a été institué en France de 1973 à 2011 et, depuis lors, il a été remplacé par le Défenseur – ou la Défenseure – des droits​ ​(autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect des libertés et des droits des citoyens​). Dans son acception étymologique, le mot médiateur vient ​ du latin mediare qui signifie « être au milieu de », « s’interposer », et de médium qui veut dire « être au milieu ». C’est dire que la fonction de médiateur véhicule les notions d’impartialité et d’équité. Tel est le sens de l’Ordonnance no 010/PR/2025, ​signée par le président Mahamat Idriss Déby Itno, notamment en son article 7, qui fixe la formule de la prestation de serment du Médiateur de la République devant le Conseil constitutionnel du Tchad : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de les exercer en toute indépendance et en toute impartialité, dans le respect de la Constitution, et de garder le secret des délibérations, même après la cessation de mes fonctions ». Se rapprocher des citoyens Or, au Tchad comme dans de nombreux ​États africains, il n’est pas aisé pour les justiciables de se tourner vers les tribunaux, notamment les tribunaux administratifs, lorsqu’ils s’estiment lésés dans leurs droits. Si, conformément aux lois de la République, tous les citoyens sont égaux devant la loi, il n’en demeure pas moins qu’ester en justice requiert des moyens financiers qui ne sont pas à la portée de tous les justiciables au regard du niveau moyen des revenus au sein de la population. Même lorsque les revenus d’une partie significative de la population leur permettraient de recourir à la justice des tribunaux, se posent ensuite au Tchad les sempiternels problèmes de l’engorgement des tribunaux, de l’éloignement des services de la justice des justiciables, de ​l’impunité, voire de la barrière de la langue et de l’instruction contre laquelle butent de nombreux citoyens. Dans un tel contexte, l’importance du Médiateur de la République n’est plus à démontrer. L’article 10 de l’Ordonnance suscitée donne un aperçu de la densité et de l’importance de ses attributions.  – Apporter une assistance aux citoyens pour faire valoir leurs droits et faire face à leurs devoirs ; – Recevoir et instruire les réclamations provenant des personnes physiques et morales, relatives au fonctionnement des administrations de l’État, des collectivités autonomes, des établissements publics et de tout organisme investi d’une mission de service public. Résolution des tensions communautaires Toutefois, s’il y a un terrain sur lequel les bons offices du Médiateur de la République sont particulièrement attendus, c’est celui des tensions intercommunautaires. Cette menace récurrente contre la cohésion sociale, la paix et la stabilité du Tchad est l’un des terrains prioritaires sur lesquels les équipes du Médiateur de la République doivent davantage s’investir. À cet égard, il faut saluer l’investissement récent de la Médiature d​e​ la République en vue de la signature, au Tibesti​ (nord-ouest du Tchad), de l’accord entre le MADAT (Mouvement pour l’alternance et la démocratie au Tchad) et le Comité d’autodéfense de Yoroguei, comme l’a par ailleurs souligné ​le Médiateur de la République Saleh Kebzabo, en vue de consolider cet accord : « Le Médiateur de la République lance un appel à tous les enfants du Tibesti afin qu’ils se sentent Tchadiens et ne se laissent pas entraîner par ceux dont le rôle et l’unique obsession sont la promotion de la violence et le retour du chaos, ennemis de la paix. » Mais, au-delà du règlement de ce conflit dans le Tibesti, il sera utile pour l’avenir et pour plus d’efficacité que les services de la Médiature s’investissent dans une démarche plus proactive. Comme le lui permettent ses attributions, le Médiateur de la République a vocation à remplir également une mission d’alerte auprès des autorités de la République. Il pourrait ainsi faire des propositions en vue de désamorcer des conflits intercommunautaires latents avant qu’ils n’aient franchi un seuil de non-retour. Les démembrements de la Médiature sur le territoire national pourraient être mis efficacement à contribution dans cette optique​. Enfin, il serait souhaitable pour la Médiature, en tant que juge de paix de la République, de se faire davantage connaître des citoyens tchadiens et des administrations publiques. Car une plus grande visibilité de cette institution contribuerait immanq​uablement à la rapprocher des administrés et des institutions destinées à recourir à ses services..

⏱ Temps de lecture estimé : 6 minutes

Le Tchad a renoué avec les bons offices d’un médiateur de la République après le retour à l’ordre constitutionnel et la Ve République. Au regard de la fragilité de la paix sociale dans le pays, la Médiature de la République a d’énormes chantiers à parachever.

C’est un réflexe fort répandu dans les ​États modernes, bien au-delà des pays africains. Lorsque survient un différend ou une incompréhension entre un citoyen et l’État central, entre un administré et une administration, la tentation est grande de se tourner vers les tribunaux pour obtenir réparation.

S’il est vrai qu’il s’agit d’une démarche républicaine qui ne peut qu’être saluée, il n’est pourtant pas nécessaire de recourir systématiquement à la justice des magistrats lorsqu’un litige oppose un citoyen à une institution investie d’une mission de service public. En maintes circonstances, la judiciarisation des litiges de cette nature peut être évitée au bénéfice d’un règlement pacifique et amiable.

C’est dans cette optique qu’a été instituée la fonction de Médiateur de la République​ dans la constitution de la Ve République​ adoptée par référendum le 17 décembre, puis promulguée le 29 décembre 2023​.

Aux origines de la Médiature

Elle connaît ses débuts dans les pays scandinaves et anglo-saxons, notamment en Suède et en Angleterre. En revanche, dans sa configuration actuelle au Tchad comme dans certains pays africains, notamment francophones, cette fonction a été instituée sur le modèle français. Le Médiateur de la République a été institué en France de 1973 à 2011 et, depuis lors, il a été remplacé par le Défenseur – ou la Défenseure – des droits​ ​(autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect des libertés et des droits des citoyens​).

Dans son acception étymologique, le mot médiateur vient ​ du latin mediare qui signifie « être au milieu de », « s’interposer », et de médium qui veut dire « être au milieu ». C’est dire que la fonction de médiateur véhicule les notions d’impartialité et d’équité. Tel est le sens de l’Ordonnance n010/PR/2025, ​signée par le président Mahamat Idriss Déby Itno, notamment en son article 7, qui fixe la formule de la prestation de serment du Médiateur de la République devant le Conseil constitutionnel du Tchad : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de les exercer en toute indépendance et en toute impartialité, dans le respect de la Constitution, et de garder le secret des délibérations, même après la cessation de mes fonctions ».

Se rapprocher des citoyens

Or, au Tchad comme dans de nombreux ​États africains, il n’est pas aisé pour les justiciables de se tourner vers les tribunaux, notamment les tribunaux administratifs, lorsqu’ils s’estiment lésés dans leurs droits. Si, conformément aux lois de la République, tous les citoyens sont égaux devant la loi, il n’en demeure pas moins qu’ester en justice requiert des moyens financiers qui ne sont pas à la portée de tous les justiciables au regard du niveau moyen des revenus au sein de la population. Même lorsque les revenus d’une partie significative de la population leur permettraient de recourir à la justice des tribunaux, se posent ensuite au Tchad les sempiternels problèmes de l’engorgement des tribunaux, de l’éloignement des services de la justice des justiciables, de ​l’impunité, voire de la barrière de la langue et de l’instruction contre laquelle butent de nombreux citoyens.

Dans un tel contexte, l’importance du Médiateur de la République n’est plus à démontrer. L’article 10 de l’Ordonnance suscitée donne un aperçu de la densité et de l’importance de ses attributions.

 – Apporter une assistance aux citoyens pour faire valoir leurs droits et faire face à leurs devoirs ;

– Recevoir et instruire les réclamations provenant des personnes physiques et morales, relatives au fonctionnement des administrations de l’État, des collectivités autonomes, des établissements publics et de tout organisme investi d’une mission de service public.

Résolution des tensions communautaires

Toutefois, s’il y a un terrain sur lequel les bons offices du Médiateur de la République sont particulièrement attendus, c’est celui des tensions intercommunautaires. Cette menace récurrente contre la cohésion sociale, la paix et la stabilité du Tchad est l’un des terrains prioritaires sur lesquels les équipes du Médiateur de la République doivent davantage s’investir.

À cet égard, il faut saluer l’investissement récent de la Médiature d​e​ la République en vue de la signature, au Tibesti​ (nord-ouest du Tchad), de l’accord entre le MADAT (Mouvement pour l’alternance et la démocratie au Tchad) et le Comité d’autodéfense de Yoroguei, comme l’a par ailleurs souligné ​le Médiateur de la République Saleh Kebzabo, en vue de consolider cet accord : « Le Médiateur de la République lance un appel à tous les enfants du Tibesti afin qu’ils se sentent Tchadiens et ne se laissent pas entraîner par ceux dont le rôle et l’unique obsession sont la promotion de la violence et le retour du chaos, ennemis de la paix. »

Mais, au-delà du règlement de ce conflit dans le Tibesti, il sera utile pour l’avenir et pour plus d’efficacité que les services de la Médiature s’investissent dans une démarche plus proactive. Comme le lui permettent ses attributions, le Médiateur de la République a vocation à remplir également une mission d’alerte auprès des autorités de la République. Il pourrait ainsi faire des propositions en vue de désamorcer des conflits intercommunautaires latents avant qu’ils n’aient franchi un seuil de non-retour. Les démembrements de la Médiature sur le territoire national pourraient être mis efficacement à contribution dans cette optique​.

Enfin, il serait souhaitable pour la Médiature, en tant que juge de paix de la République, de se faire davantage connaître des citoyens tchadiens et des administrations publiques. Car une plus grande visibilité de cette institution contribuerait immanq​uablement à la rapprocher des administrés et des institutions destinées à recourir à ses services.

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